nn Oa en anne 6 - Le Soleil de Colombie, vendredi 24 octobre 1986 ut les disparitions enfants Par Louise Desautels Les disparitions d’enfants, ce nest plus seulement une préoccupation des services de police. Les gouvernements s’en mélent. Des organismes s'im- pliquent. Julie, huit ans, n’est pas rentrée de l’école ce lundi-la. Sa mére, sans tarder, a alerté la police. Quelques minutes auparavant, a Vissue d'une querelle, son ex-conjoint lui avait servi sa vieille menace: emmener l’en- fant vivre avec lui au sein d’une secte religieuse de _ 1’Ouest canadien. Il ne s’agissait pas de paroles en lair... Julie avait 11 ans quand sa mére l’a enfin retrouvée, en 1985! Typique, le cas Chapados est survenu quelques années avant la série d’enlévements de 1984 qui ont connu des fins tragiques. Depuis, une foule de mesures et diinitiatives se sont succédées: programmes de _ prévention, étude menée par le ministére de la Justice, mise sur pied d’un bureau canadien d’enregistre- ment des enfants disparus, colloque national, signature d'une convention sur les enlé- vements internationaux. Un tableau encore flou — Pour l’instant, aucune statis- tique ne permet d’évaluer le nombre réel des disparitions de mineurs au Canada ou au Québec. D’aprés les rapports de police, on sait cependant qu’elles sont constituées d’une grande proportion diadolescents en fugue et de plusieurs enfants retenus ou enlevés par le parent qui n’en a pas la garde. Plus rarement, il s’agit d’un bambin enlevé par un inconnu. Ce flou se dissipera sans doute avec la mise sur pied, a l’échelle canadienne, de la Banque d’enregistrement des enfants disparus. Depuis juillet 1985 déja, les services de police de Montréal, Toronto, Edmonton et Surrey ont commencé a remplir un formulaire spécial pour chaque enfant dont la disparition a été portée a leur attention. En plus des données habituelles (mom, Age, sexe, taille), on inscrira, par exemple, des informations sur le contexte familial de l'enfant et sur les circonstances entourant sa dispa- rition. Un ordinateur central emmagasinera l’ensemble des renseignements et les transmettra aux policiers. “C’est exactement le genre de formulaire que nous souhattions voir mts au point”, se réjouit Jocelyne Amesse, coauteure d’une étude menée en 1985 pour le compte du ministére québécois de la Justice sur les enfants disparus. “Avec de telles don- nées, nous aurons un portrait beaucoup plus complet de la situation”, reprend M. Amesse. On pourra ainsi établir que les fugues se produisent davantage dans tel quartier de Montréal ou que les enlévements par un parent surviennent au moment ou l’ordonnance de garde est prononcée. Les mesures de prévention et les correctifs a apporter aux mé€canismes en place seront alors plus précis. L’an dernier, pour avoir une idée de la situation, l’équipe du ministére québécois de la Justice a dad consulter les données Statistiques de cing corps policiers. On a alors constaté que lenlévement de mineur est un phénoméne urbain: la Sareté du Québec qui a la charge des zones rurales ou semi-rurales n’y a relevé que 9,3% des enlévements. Selon cette étude, 90% des disparus réintégrent leur foyer en moins de 72 heures. Et les enlévements crapuleux par des inconnus constituent une excep- tion: quatre des 3630 dispari- tions signalées en 1984 au Service de police de la Communauté urbaine de Montréal. “Méme ce chiffre est exceptionnellement élevé, commente M. Amesse. En 1985, un seul cas a été rapporté.” L’analyse du Ministére a aussi établi que les fugues, de méme que les évasions de centre d'accueil, constituent la majorité des disparitions. Le Comité de la protection de la jeunesse a d’ailleurs déposé une étude sur ce phénoméne en 1985, Appel a la concertation Ces quelques résultats, M. Amesse les a présentés en mai dernier aux participants cana- diens d’un colloque sur les enfants disparus. Cette tribune a permis de se rendre compte que, d’une province 4a l'autre, le tableau général variait peu. Certaines situations différent cependant. Par exemple, le prononcé du divorce a4 la Cour supérieure de plusieurs provinces ne s’accompagne pas de l’ordon- nance de garde, cette procédure relevant d’un autre niveau juridique (ou judiciaire). Le délai donne parfois lieu a des situations difficiles. Par exemple, ces parents divorcés qui avaient obtenu séparément, dans des provinces différentes, le droit de garde de leur fils. Impossible alors d'invoquer 1’enlévement afin de retrouver son enfant. D’ailleurs, méme lorsque l'un des parents améne illégalement l’enfant dans une autre province, les recours sont peu nombreux. Seul le droit criminel prévaut partout au Canada. Et il exige la preuve que le parent a bien voulu commettre un enlévement au sens de la loi. La situation appelle a la concertation entre les provinces. Un premier pas dans cette direction a été franchi en 1985 alors que le Québec et quelques autres provinces signaient la Convention de La Haye sur l’enlévement international. Cette entente engage les signataires a mettre tout en oeuvre pour retrouver un enfant qui serait porté disparu au sens de la loi du pays d’origine. La France, la Suisse et le Portugal ont également signé l’accord. Le Sénat ameéricain étudie la possibilité que les Etats-Unis adhérent a la Convention. La Convention de La Haye a été invoquée une premiére fois au Québec au printemps 1985. Une mére francaise, ayant obtenu la garde légale de ses deux enfants de 8 et 12 ans, réclamait que ceux-ci, installés au Québec avec le pére, retournent en France. Ila été facile d’obtenir de la Cour supérieure une ordonnance de retour. En septembre de la méme année, les enfants retrouvaient leur mére. : Avant la signature, traverser la frontiére signifiait se soustraire aux lois francaises: la mére aurait alors di entreprendre ici de longues procédures afin que cet enlévement soit reconnu par nos lois. Contrairement au droit criminel, la Convention vise uniquement le retour des enfants et n’implique aucune poursuite contre le ravisseur. Information et prévention Sile dossier des enfants disparus progresse du cété légal et politique, il retient également attention de nombreux groupes au sein de la population. Depuis quelques années déja, plusieurs efforts de prévention ont été entrepris. Citons, entre autres, les conseils aux enfants et aux parents diffusés sur des cartons de lait, la vidéo a l’intention des enfants de 5 4 10 ans diffusée dans les écoles et les séances Aux Etats-Unis, depuis 1980, quelques chercheurs se sont penchés sur le phénoméne des enlévements d’enfants par un des parents. Ils en ont dressé le portrait type. L’enfant enlevé par un de ses parents a entre trois et sept ans. Le rapt se produit avant que l’ordonnance de garde ne soit prononcée et est commis par celui qui croit avoir peu de chances de se voir confier l’enfant - le pére, dans 53% des cas, la mére ou le tuteur, dans la majorité des autres cas. Le ravisseur a souvent un caractére colérique et rancu- nier et commet 1l’enlévement plus par vengeance contre l’ex-conjoint que par amour pour l’enfant. La plupart du temps, aucune contrainte physique n’est exercée. Dans 79% des cas, l'enfant part avec le parent non gardien a la connaissance du parent gar- dien et l’enlévement n'est constaté que par la suite. L’enlévement se produit trés rarement a l’école (12%). Entre = 4le» rapt et« le d'information organisées périodi- quement par les nombreux corps policiers. A lTautomne 1985, on voyait aussi apparaitre sur les rayons des grands magasins une trousse commerciale _d’identification. Certains organismes proposent gratuitement ce service lors de campagnes de prévention. La trousse permet de monter un véritable petit dossier sur un enfant: photo et empreintes digitales, fiche signalétique, renseignements médicaux et dentaires, adresse des copains. Le but est de pouvoir rapidement fournir aux enquéteurs toutes les informations nécessaires. “Je n'aime pas tellement lidée des empretintes digitales, avoue le sergent Remit Dumay du Service de la police de la Communauté urbaine de Montréal. D’abord elles peuvent étre mal prises et ensuite, ¢a latsse crotre aux parents qu'on pourra fatre des miracles! L'important, d’aprés lui, c’est que ]’on ait toujours une photo récente de l'enfant de manieére a pouvoir le reconnaitre facilement. La photo doit dater d’au plus six mois si l'enfant a moins de 12 ans. Carole Leduc, Tlune des bénévoles d’Enfants-Retour s’ob- jecte: “Aucune information ne doit étre négligée”. Son or- ganisme est pancanadien (Child- Find du cété anglophone). Il se voue a la recherche d’enfants disparus et distribue gratui- tement une trousse d’identifi- cation lors de campagnes préventives. Cette trousse a une particularité: elle contient un feuillet consacré au parent qui n’a pas la garde de 1’enfant. “Lienlévement d’un enfant, on peut parfors le sentir venir, -explique M. Leduc. II est souvent précédé de menaces.” “La prévention, estime pour sa part M. Amesse, c’est davantage une question dnformation. Ca sintégre a des notions d intégrité physique, de respect des drotts et de propriété de son corps. C’est ce qu tl faut enseigner aux enfants’. Tout en évitant de créer trop d’angoisses. Justice Octobre 1986 Portrait type d’un rapt signalement 4 la police, 4 un détective privé, 4 un avocat ou a un organisme de recherche, il s’écoule entre 8 et 31 jours - le temps d’épuiser les mé- thodes directes de négocia- tions avec le ravisseur. Un autre auteur américain a pour sa part évalué les conséquences du rapt sur les enfants eux-mémes. Pour 16 des 18 jeunes rencontrés, l’expérience s'est avérée hau- tement traumatisante. L’en- fant s'est d’abord inquiété de l’autre parent, puis a dévelop- pé de la rancune envers lui, surtout si le ravisseur lui a raconté que l’autre l’avait abandonné. Assez vite, ce sentiment se déplace vers l’auteur de Venlévement et ]’enfant tend a idéaliser l’absent, a s'identifier a lui. Les déménagements successifs, la consigne du silence, le changement d’iden- tité (souvent indissociables de Venlévement) rendent l’enfant insécure et peu _ sociable. Adulte, il épouve de la difficulté a établir des rapports sains avec autrui. —