Ils ont entretenu la PAR LIBASSE NIANG epuis pres de __trente ans, on associe les noms de Jeanne et Jacques Baillaut a celui du Soleil de Colombie- Britannique. Ils évoquent pour nous les raisons qui les ont amenés a vendre Le Soleil de Colombie-Britannique, et nous font part des sentiments qu’ils éprouvent au moment ou ils tirent leur révérence. Le Soleil: Vous avez réussi, avec des moyens assez limités, a entretenir la flamme du Soleil. Comment vivez-vous cette séparation? Jacques Baillaut: C’est un peu comme un pére de famille qui a vu grandir un enfant et qui, a un moment donné, consideére qu'il est temps qu’il vole de ses propres ailes. ZS." De quand date votre désir de vendre le journal? J.B.: Au cours des cing derniéres années, j'ai essayé de trouver une autre solution pour le journal, puisque le modeéle Piolat-Baillaut, qui a pour fondement la volonté et le systéme D (Débrouille), est révolu. L.S.: Pensez-vous que l’on Puisse maintenir en vie un Journal pendant 30 ans grdce au seul systeme D? J.B.: Peut-étre pas. Mais Le Soleil est devenu une entre- prise qui doit tenir compte des lois économiques. Il fallait par conséquent trouver de nou- veaux investisseurs, des gens sincéres et responsables préts a donner un nouvel élan au Soleil, ce qui est le cas de la nouvelle direction. Car le journal doit nécessairement se développer. Au cours des années, jai eu des propositions venant de fantaisistes formida- bles auxquelles je n’ai évidem- ment pas donné suite. L.S.: Allez-vous suivre |’évo- lution du journal ? J.B.: Le devenir du journal m’intéresse beau- coup. Mon espoir c’est de * voir ce bébé, pour lequel jai dépensé énormément d’énergie, continuer sa route dans les meilleures conditions. Il ne s’agit pas, comme pour la vente d’une boulangerie, de dire au boulanger de prendre les _ clés et de Journal. Je serai aimablement a la disposition de la nouvelle équipe. Mais je ne serai plus le centre décisionnel et mes acti- vités ne seront plus centrées autour de la vie du journal. L.S.:_ Que pensez-vous de la toute nouvelle maquette du Soleil ? J.B.: Ce nest pas le facteur le plus important. Les maquettes des journaux produits par le groupe Conrad Black sont loin d’étre jolies. Mais ce sont des journaux qui générent des mil- lions de dollars de revenu et influencent considérablement la société canadienne. L’essentiel, c’est de vendre. L.S.: Les journaux grecs, chinois ou indiens ont un suc- cés retentissant auprés des communautés en question. Le Soleil de Colombie- Britannique n’enregistre pas un tel succes. Comment expliquez-vous un tel phénoméne? J.B.: Les communautés grecque, indienne ou chinoise sont beaucoup plus homogeénes que la communauté francopho- ne. Depuis 30 ans, les personnes qui ont travaillé pour Le Soleil n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts. Nous avons exploré un certain nombre de pistes, mais le résul- tat escompté n’a pas toujours été au rendez-vous. Radio- Canada, qui dispose de beau- coup plus de moyens que Le Soleil, éprouve également des difficultés pour élargir son audience. Un sondage. du groupe Angus Reid montre en effet que Radio-Canada et Le Soleil souffrent du méme manque de pénétration. Il y a la une piste de recherche extrémement importante. Le Soleil et Radio-Canada doivent peut-étre joindre leurs efforts pour tenter de réveiller cette masse silencieuse. Mais peut- étre n’avons nous pas eu les ressources financiéres_ et humaines __nécessaires” a l’accomplissement d’une telle tache? Cependant, il importe de souligner que ‘nous distribuons, en moyenne, 3000 jJournaux chaque semaine, ce qui veut dire un lectorat de 12 000 et 15 000 francophones. Exception faite de Radio- Canada et des _ groupes oeuvrant dans le domaine de l'éducation, aucun autre organ- isme francophone narrive a atteindre autant de monde sur une base réguliére. L.S.: Quelles sont vos autres sources de satisfaction? J.B.: Etre a la direction du journal fut pour moi une mer- veilleuse occasion de collabo- rer avec une multitude de gens. Je remercie chaleureusement toutes ces personnes. Mes remerciements s ‘adressent par- ticuliérement a _ l’équipe actuelle. Je suis heureux de laisser Le Soleil entre les mains de personnes intégres qui entendent conserver le caractére indépendant du jour- nal. Car veiller a l’indépen- dance du Soleil, c’est respecter le désir et la volonté de son fondateur, André Piolat. Le Soleil : Le Soleil est, suivant _l’expression de Jacques Baillaut, un bébé pour lequel vous avez consacré beaucoup d’énergie. Comment -vivez-vous le fait de ne plus étre a la barre? Jeanne Baillaut : Je vis trés bien la séparation parce que le renouveau est salvateur. Il y a un temps pour travailler et un temps pour se reposer. Et les soucis d’argent dans les affaires sont des soucis de Jeunesse. Il faut aussi dire que je n’ai pas consacré pour Le Soleil la méme somme d’énergie que Jacques. L.S. : En diriez-vous autant pour ce qui est de Rayon- _ Jeunesse ? J.B. : Pas vraiment. J’ai tra- vaillé trés fort pour Rayon- Jeunesse pendant dix ans. Le Rayon-Jeunesse avait donc un peu ma couleur, ma person- nalité. J’ai eu du mal a trouver de bons collaborateurs, en rai- son en partie de nos moyens financiers limités. Quant au style, ce qui est tres difficile avec Rayon-Jeunesse, c’est de trouver le niveau de frangais approprié, le dosage qui convienne a la fois aux grands et aux moins grands. Il s’agit en fait de trouver le niveau du Petit Prince. Mais j'ai néanmoins pu trouver quelques rares_ collaborateurs qui avaient une belle plume. ZS.“ Comment définiriez-vous le réle de Rayon-Jeunesse ? J.B.: La place du Rayon- Jeunesse est.d’une importance capitale. Rayon-Jeunesse consti- tue une sorte de fer de lance du Soleil, car ses lecteurs sont des lecteurs potentiels du Soleil. Je pense notamment a tous ces jeunes qui fréquentent les écoles d’immersion. Si l’on n’accorde pas assez d’atten- tion a ces jeunes qui sont ori- ginaires de pays autres que la France et le Canada, Le Soleil sera un canard communau- taire. Car il convient de dépasser ce périmétre, cette espéce de cléture qu’il y a autour de ce qu’on appelle la communauté. Il faudra dépasser cette espéce de ghetto, souvent synonyme de médiocrité, dans lequel on s'est enfermé. Répondre aux besoins de la communauté, oui. Mais il faut aussi créer les besoins, chez les jeunes en particulier. Nous ne pouvons y arriver que par le biais de l'éducation. De nombreuses écoles nous ont félicités pour la qualité du Rayon-Jeunesse. Le ministére de I’Education y a choisi cette année des textes pour les examens destinés a sélectionner les boursiers. Malgré tout cela, il y ena encore pour nous dire que Rayon-Jeunesse est vieillot, qu’il n’est pas moderne. Mais est-ce un critére? Le Rayon- Jeunesse s’adresse actuelle- ment aux jeunes des classes comprises entre la 4éme et la 12éme année. Il faudrait peut-étre se donner les moyens pour satisfaire les plus jeunes. J’aimerais aussi y voir une page qui soit écrite par les éléves. Il y a stirement des foules d’améliorations a apporter. L.S. : Quelle est la raison d’étre de l’exposition Rayon- Jeunesse que vous envisagez d’organiser a_ I1Alliance Frangaise ? J.B. : C’est une facgon de ren- dre hommage aux personnes qui ont travaillé avec moi. Je - pense a Monique Cashman qui corrige les textes depuis 10 ans ou Sandrine Lejeune qui est une excellente illustratrice. L’exposition constitue aussi une plate-forme pour ceux qui vont prendre le relais. Et puis, je veux qu’on sache que je m’en vais. L.S. : Comment comptez-vous occuper votre temps libre ? J.B. : Quand je fais quelque chose, j’essaie de bien le faire. Mais quand c’est passé, c’est passé. Je trouve toujours une tangente pour faire ce que j'aime. C’est ce que j'ai fait a ‘travers le Centre Cu Colombien et Rayon-Jeunesse. J’aime beaucoup la lecture. J’envisage de mettre en place un club de lecture. Les mem- bres du club pourraient par exemple faire des critiques de livres et les faire parvenir au Soleil. Par ailleurs, nos enfants nous posent beaucoup de ques- tions sur les origines de la famille. Ils veulent savoir com- ment on a vécu la période de la guerre, etc. Je suis restée 18 ans avec mes parents et j'ai déménagé 18 fois. Je suis née en Espagne et mon pére y a fait la révolution contre Franco. Mes enfants me demandent d’écrire tout cela. C’est donc un projet qui me tient a coeur. Mais ce ne sera pas publié, Juste des chroniques familiales en quelque sorte. ’ 2 & ‘-