Le Moustique Volume6 - 4¢ édition Les Ombres errantes ISSN 1704 - 9970 Avril 2003 Chaque année en novembre des jurys frangais composés d'écrivains, de critiques et de journalistes décernent divers prix littéraires qui reviennent toujours inévitablement aux mémes maisons d'éditions, lesquelles se trouvent étre les plus importantes de Paris, soit Gallimard, Le Seuil, Albin- Michel et Grasset. De tous les prix le Goncourt est le plus prestigieux. Ce qui ne veut pas dire que le titre recompensé soit le meilleur livre de l'année, mais plutét que I'éditeur a été le plus habile a faire valoir son produit auprés des jurés qui sont, ce qui peut permettre d'arranger bien des choses, nommés a vie. La récompense vaut une somme d'argent a l'auteur et assure, en principe, de bonnes ventes a I'éditeur. En novembre 2002, le Prix Goncourt a été attribué a Pascal Quignard pour Les Ombres errantes. Grace a une prodigieuse érudition Pascal Quignard est capable d'aborder avec intelligence les domaines les plus divers de la culture, non seulement en littérature mais aussi en peinture, musique, histoire et philosophie. La liste de ses ouvrages est longue. Un des plus connus est sans doute Tous les matins du monde (1991) consacré a un musicien du XVilé siécle, Monsieur de Sainte Colombe et a son éléve Marin Marais. Alain Corneau en fit un film remarquable qui passa sur les écrans canadiens il y a quelques années. Ecrivain prolifique, Quignard avait jusqu'ici raté les prix les plus célébres. Il vaut mieux croire que le Goncourt lui a été attribué pour l'ensemble de son ceuvre car Les Ombres errantes, dont le titre est aussi celui d'une ceuvre du musicien Frangois Couperin, est parfois bien décevant. C'est le fruit de réflexions élaborées depuis qu'il s'est retiré du monde et que, loin de Paris, il passe son temps a lire, méditer et écrire dans ce qu'il appelle son ermitage. Le livre se compose de 55 chapitres, certains vraiment trés courts, comme ce chapitre 41 qui ne contient qu'une phrase dont on attend en vain quelque lien avec le reste de l'ouvrage et que voici: “Rousseau avait un ami qui s'appelait Monsieur de Merveilleux et qui habitait Soleure".(130) Quand on a é€puisé la puissante évocation poétique de cette phrase, on peut passer aux autres chapitres qui ont entre plusieurs lignes et quelques pages. Dans les pensées sans ordre et jetées au hasard, il évoque les Anciens, les sages Chinois, les Bouddhas de Bamiyan, Clovis, les Messieurs de Port-Royal etc. Aux yeux du lecteur averti - si j'en juge par ce qu'il dit de Saint-Cyran -, les réflexions font plutét figure de vulgarisation. On y trouve aussi le couplet antiaméricain de rigueur dans bien des ouvrages contemporains. Ici, il fait remonter a 1853 les débuts - et les méfaits - de la mondialisation dont il attribue la paternité a l'Américain Matthew Perry qui attaqua les Japonais dans la baie d'Edo (Tokyo pour les cruciverbistes) afin d'imposer la politique de libre-6change. De cet acte guerrier injustifié auraient découlé la plupart des problémes a venir, en particulier les deux guerres mondiales créditées elles aussi a l'action lointaine de ce Matthew Perry. Enfermé dans son projet narcissique, Pascal Quignard ne se soucie guére du lecteur. Sinon aurait-il écrit la réflexion suivante? : "On parle du courant du fleuve. Que serait le couru? Le couru serait la source juste avant le jaillissement. Ce serait le perdu qui revient dans I'a venir du venir qui se perd."(168) etc.etc. ll parait que Les Ombres errantes n'est que le début d'un projet plus vaste qui comportera d'autres volumes ou Pascal Quignard développera de nouvelles pensées. Mais aura-t-il encore assez de lecteurs pour le suivre? Paul Genuist Pascal Quignard, Les Ombres errantes, Paris, Grasset, 2002, 190 pages. Paul Genuist, originaire de Bretagne a 6té professeur a l'Université de la Saskatchewan, a Saskaton depuis 1959. II habite maintenant a Victoria en Colombie- Britannique avec son 6pouse Monique. Il a publié plusieurs livres dont celui de Marie- Anna Roy, Une voix solitaire, aux Editions des Plaines en 1992. C’est en juin 1999 que Paul Genuist participe a I’élaboration du mensuel « Le Moustique » en apportant une critique littéraire trés appréciée chaque mois. Nous le remercions vivement pour sa collaboration et cela depuis presque 4 ans. Le Moustigue { 3