COURIR LES BOIS ‘par Roger Dufrene L’eau du lac était si claire en ce dimanche matin qu’en nageant j’apercevais, au ‘fond, un tapis de graviers, fides coussins de lianes, et, ici et 14, le tabouret rou- geatre d’un arbre coupé. La- bas, un voilier se prélas- sait. Deux gamins passaient sur un matelas pneumatique. Ils le propulsaient des pieds et des mains, avec la vigueur automatique d’un moteur. L’eau était d’une tiédeur délicieuse. Aprés m’étre sé- ché au soleil, j’ai cherché, derriére les trous lisses des cédres échoués, mon compagnon. Il avait disparu. Je me promis d’étre vigilant la prochaine fois. Nous avions quitté Van- couver le samedi. Les mon- tagnes s’étaient peu 4 peu dévétues de leurs brumes de nuit. Le va-et-vient rapide et fréquent des autos annon- ¢ait une belle journée. Nous avons quitté l’autoroute pour une chaussée plus étroite, bordée d’une rangée de poteaux téléphoniques, bran- dissant dans lazur leurs quadruples croches et leurs portées d’oiseaux méditant: leurs prochaines migra- tions. Seul murmurait aux oreilles le vent, le vent taquin qui chuchotait des bla- gues aux feuillages et décoif- fait les riviéres. _Par-dela Haney, des eaux en effet miroitent. Des buis- sons agitent leurs feuilles vernies. L’odeur des bois pourris alterne avec celle des bois brdlés. Voici le Camp de Rolley Lake : quel- ques éclaircies de gravier aménagées dans la sylve, certaines déjA meublées d’une auto, d’une tente et d’un tas de bois. Le soir, nous avons allumé un feu. Mon ami, toujours actif, se remuait, noir, devant la flambée. Le feu est un dieu, disaient les Anciens. Il l’est encore. Ne recrée-t-il pas les @tres et les choses que la nuit engouffrait? Tout était noir. Or, le feu a redonné une forme aux massifs, uncorps a chaque geste, un visage 4 chaque voix, visage mys- térieux qui s’anime dans la nuit of on reconnaft, ‘‘fan- tasmagorisés’’ par la magie des flammes, les gamins, les fillettes, les femmes et les hommes... A table mes amis ! Aucamp, l’appétit ne manque pas. Des frelons bourdonnent autour des confitures. J’use deux pochettes d’alumettes, et mon feu ne flambe pas | { ANS A " ¢ | NAL encore. Mon compagnon arrive et me dépanne. Tout devient si facile avec lui ! Dresser une tente sur de la pierraille, allumer un feu de bois humide, s’orienter A la position du soleil ou de la lune, tous secrets ou il excelle et of je me perds. Je tiens mon ami 4 1’oeil. Il ne faut plus qu’il nous déserte. Le repas expéedié, je lui propose une incursion dans les bois ; et en route ! Mon ami veut suivre le trop-plein du lac et décou- vrir ot il se précipite. Aventure exaltante !| Laforét de la Colombie Britannique recéle en ses flancs un in- quiétant labyrinthe végétal. Il semble qu’on visite d’an- tiques villages, tout en ruines. Hameaux non pas de briques ou de pierres, mais de bois, de mousses, de lia-— nes enchevétrées. Des ma- driers posés ici et 14 sur des poteaux, des arceaux de feuillages qui respectent une longue ordonnance, prouvent que nous suivons une piste effondrée. On en- tend la rumeur puissante d’une cascade. La-bas, dans le fond ! J’ai peine 4 suivre les deux gamins qui nous précédent, et mon compa- gnon qui dévale des rocs} comme un chevreuil. Rien ne sert de s’agripper ! La bran- che morte casse net et me laisse dans la main un déri- soire morceau de bois. Plus bas, la racine verte d’unar- bre, gluante comme une ten- tacule de pieuvre, me glisse entre les doigts, et je tombe, interminablement... La descente valait lapeine.}. Une nappe d’eau, bouillonne sur des roches noires od il semble que par moment s’ ouvre un antre démoniaque et souterrain. Je remonte, clopin - clopant, derriére mon ami quis’arréte sur une roche pour m’attendre etles gamins qui s’esclaffent 4 mes exploits. Je bofterai pendant quel- ques jours. La brflure du soleil et la piqhre des mous- -‘tiques m’importuneront. Qu’ importe ! Puisqu’elles me rappelleront les longues brasses dans l’eau du lac, les longues descentes dans le bois vert, la cascade etle feu. Le feu devant lequel mon compagnon se détachait, noir devant les flammes, mon compagnon qui grimpe si bien les rocs, qui hume le vent comme un chasseur, s’oriente au soleil, aux mousses et aux chutes d’eau, -et avec qui on finit toujours par se retrouver. VILLENEUVE . . *% e * « . . « s eo . Oe he gs ee. 6 ce 8 8 6. Lie ee Se ee ‘“‘Les chroniques du Qué- bec’? d’ Arthur Villeneuve sont toujours exposées 4 la **Vancouver Art Gallery’’ et ceci jusqu’au 14 septembre. Il est intéressant de consta- ter les réactions des visi- Vf b, Gy MA * #4005 x SS aA Sf Nul doute que l’art d’Arthur Villeneuve ne laisse per- sonne indifférent et s’il est pour certains unpeintre mé- galomane, il est pour bien d’autres un peintre de génie possédant une capacité de débordement extraordinai- re. Débordement '_ relatant ses expériences personnel- les et I’histoire ou les cou- tumes de son pays. Pour tous ceux qui n’au- raient pas déja vu les chro- niques du Québec, il est encore temps. ; On ne saurait trop vous encourager 4 venir voir les oeuvres du peintre qui font que l’on se pose des ques- tions et c’est peut-étre 1a le cdté tellement original de cette exposition. teurs au sortir de Ia galerie.. XII, LE SOLEIL, 5 ;