i a a a II CARNET BD’ UN PROMENEUR par Roger DUFRANE Me a ; y OTer yt t 1 ~ 1 — CHANTILLY Je suis sorti de Paris par Montmartre et la Porte de la Chapelle, La grande ville s’en- toure d’une banlieue monotone, et Saint-Denis, autrefois pitto- resque, est devenue laide. On se sent tout ragaillardi quand on revoit les campagnes et les bois. Le Chateau de Champlatreux étale sa fagade 4 hautes fené— tres dans un parc privé, II fut habité par la Comtesse de No- ailles. On]*imagine dans 1’allée, une ombrelle sur l’épaule, Ac- coudé a une borne de son do- maine, on la regarde. Elle feint de ne pas nous voir, et son at- titude nous rappellece beau cou-— plet jailli de sa plume; La forét, les étangs et les plaines fécondes Ont plus touché mes yeux que les regards humains; Je me suis appuyée 4 la beauté du monde Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains, Tréve de réveries! Les autos ronflent anos oreilles et la route nous appelle, En Ile-de-France, les manoirs et les maisons, les ponts et les moulins sont tou- jours jolis. En veillissant, la pierre de ce pays prend des tons gris et roses, Point decouleurs heurtées comme dans le Nord, mais des constructions en har- monie, pastels de pierre, de ciel bleu et de feuillage, A Vineuil s’ouvre une échap- pée merveilleuse sur leChateau de Chantilly. Le palais refléte ses fléches et ses doupoles dans un miroir d’eau, Sous 1’Ancien Régime se tinrent ici des fétes somptueuses, honorées par des rois et des empereurs, Sur le Grand Canal passaient des cara- velles, et les nuits s’étoilaient de feux d’artifice, Aujourd’hui, les jets d’eaune chantent plus, et les princes ont perdu leur cour— onne, remplacés par des touris— tes a casquettes et cameras. La-bas, les Grandes Ecuries, palais de 1’équitation, déploient leurs ailes, Le chateau princi— pal, ow nous entrons, est d’un. disparate harmonieux, I] fut re- construit aul9éme siécle, 4 ]’in- itiative du Duc d’Aumale, dans le style Renaissance, L’intéri- eur est d’un luxe inoul, avec ses tribunes a musiciens, ses bras de bronze portant des flam- beaux, ses lustres, ses tapisse- ries, ses peintures. Pendant que jfadmire des miniatures proté- gées du soleil par de petits rideaux qu’on tire, un groupe d’Américains passent en coupde vent, croyant passer devant des fenétres masquées, C'est ainsi que se visite l’Europe au pas de course, J’ai été voir, enforét de Chan- tilly, le Chateau de la Reine Blanche et les Etangs de Com- melles, C’est le Chantilly des ouvriers, Ils viennent de Paris y camper, Tout prés des tours romantiques,les tentes de toutes couleurs font penser a des Sar- rasins assiégeant un chateau- forts Ce castel date de 1826. Alors on lisait Walter Scott, et on révait de chatelaines pen- chées a leur balcon. Cet édifice moyenageux dresse ses quatre tours aux bords d‘un étang aux lointains de lumiére. Un paysage réel n’est jamais simplement une peinture, Toujours s’y al— lument des reflets et des vibra- tions, et c’est ainsi qu’il faut se représenter les Etangs de Com- melles. La Forét de Chantilly me par- aft moins touffue que celle de Compiégne., On y chasse pour- tant. Cerfs, daims, biches et ‘chevreuils y sont traqués par des meutes hurlantes et des pi- queurs sonnant du cor. Et 1’ épreuve ne cesse que lorsque la béte haletante, acculée dans 1’ eau d’un étang, recoit lecoupde grace, Jeux cruels, instincts de tuerie, qui remontent 4 la plus haute antiquité, Le soir descend sur les fu- taies. Il nous faut dire adieu aux foréts du Valois. Et qu’est- ce done ensomme que le Valois? C’est un bouquet de villes et de villages, un ciel ol passent des nuages fins, des demeures prin- ciéres aux jardins enchanteurs. Un chéne trempe dans une rivi- ére le bout deses feuilles; C’est un genie captif quise penche sur une ondine, et la regarde s’en- fuir entre les herbeSoee. Jsabelle Par Jacques Baillaut Tout comme ceux des hommes les réveils d’Isabelle peuvent 6tre monotones OU jOYEUXecece. Elle a des matins gris, des ma— tins bleus, des matins rOSE€S cece comme celui-—ci. Le ciel est rose du cété de l’horizon ot le soleil se léve, On ne saurait dire si c’est le plaisir d’apercevoir Isabelle de trés loin, ou encore s’il rougit de timidité par craintededéran- - ger le monde en se présentant de si grand matin aveca la main a i a ee un bouquet de ciel bleu alors qu’on l*’attendait les bras char-— gés de nuages, Isabelle s’amuse de le voir faire, elle fait semblant de 1*i- gnorer un instant, puis, tendre- - ment lui dit: Bonjour ciel, viens plus prés de moi que je t’em- brasse”,,, | Monsieur Ciel, tout joyeux, lui donne alors son bouquet de fleurs bleues enrubanné d?’un rayon de lune qu’Isabelle sou- riante, pique dans ses cheveux. arts et Il faut féliciter le Playhouse pour cette troisiéme piéce dela saison, produite avec une pa- reille perfection, Aprés *‘Secre- tairy Bird’’, et ‘*Rosencranz et Gildenstern’? , cette comédie tragique est profondément é- mouvante, : L’auteur Peter Nichols avait ecrit cette piéce a la suite d’un drame qu*il a vécu dans sa propre famille, C’est certai- nement 4 cause de cette expé- rience personnelle , que nous vivons son théatre avec une tel- le intensité, I] renforce cette impression, en laissant souvent les acteurs parler au public, qui @coute avec d’autant plus d*intérét, que le probléme nous concerne tous. Comment vivre avec nos problémes et en par- ticulier avec nos enfants, sang de notre sang, et pourtant’si différents, Peter Nichols avait un enfant “spastic” c’est-a-dire physio- logiquement développé norma- lement, mais sans activité cé- ‘rébrale. Nous ne sayons pas comment lui et sa femme ont vécu avec cet enfant, ni com- ment son drame s’est terminé, Cette expérience toutefois a permis 4 I‘auteur de créer des personnages et leursréactions., qui auraient pu étre les siennes ou les ndétres, Un jeune couple, ayant cet. enfant spastic, Joe, ‘ménelunevie apparemment heu- reuse, une vie de fiction, une vie de réve, Ils parlent avec l’enfant, jouent avec lui et lui prétent des intentions, que cet- te masse amorphe, secouée par des spasmes périodiques subit sans réaction aucune. Mais les parents prétendent l‘,un devant l’autre ne pas per- -cevoir la réalité, Ils se jouent la comédie par amour, Ils ca- chent leur douleur pour ne pas faire souffrir l’autre davantage. Un soir pourtant, le mari n’en peut plus. Il voudrait tuer l*enfant et pour se libérer de cette pensée atroce, raconte a sa femme et a ses amis ses intentions, comme s‘il venait de commettre l*acte. Plus tard, il sort l*enfant et 1’expose dans la nuit d’hiver, dans l’espoir. "que sa mort les soulagera de leur désespoir. Mais safemme, sa mére et ses amis parvien-. nent 4 sauver l’enfant. On n’e- chappe ni aux régles du jeu de _1*%tablissement, ni 4 ses pro- blémes, ni 4 son destin. Pour pouvoir supporter leur malheur, les parents le refou- lent dans le coin le plus ca- ché de leur 4me. Ils. par- “lent, plaisantent, jouent, comme par LADISLAS KARDOS spectacles il TN: ABR IRC, Rae TY si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.... Com— me , au fond, le fait chacun de nous, Nous fermons trop souvent nos yeux et notre coeur aux mal- heurs des autres et ausentiment de notre impuissance, Les fai- bles cherchent l]%évasion dans l’alcool ou la drogue ou dans une comédie comme font les parents de Joe, Les plus forts Subissent avec plus ou moinsde résignation leur destin et es— sayent d’agir au mieux de leurs capacités. Comme d*habitude il y avait beaucoup de personnes qui ri- aient de bon coeur, car les reparties et les situations pa- raissent souvent amusantes. J’avais mauvaise conscience pour eux. Je me rappelais cet- te histoire dréle et triste; Deux femmes assises dans un parc, regardent les enfants jouer. L’une dit; Regardez cet enfant, avec ses mouvements mala- droits et sa grosse téte, c’est vraiment rigolo, Et l’autre: Je rigolerais bien, si cet enfant n’était pas le mien. Et Joe est un peu notre enfant a tous.; La production est excel— lente. Le metteur enscéne, Tom Kerr a tiré le maximum du texte et des acteurs, J*’ai trou- vé un petit détail particuliére— ment touchant, A la fin du pre- mier acte, l’enfant qui joue Joe, Ellen Lyn Brown et qui assiste a Iaction, .muette et immobile dans un fauteuil rou- lant, vient en sautant a la cor- de pour nous dire que le premier. acte est terminé, J*étais heu- reux d’avoir la confirmation,que je n’assistais qu’a une piéce de thé&tre et que cet enfant amorphe,, n’était pas une réa- lite. .:"* ai . Neil Dainhard comme peére et Anne Butler comme mére sont excellents, Les amis, An- ni et Alan Scarfe, ainsi que la grand-meére, Mary Huggins jouent leurs rdles 4 la perfec- tion. ~ Pendant toute la piéce, un tambour accompagne le texte, A la fin d*’une phrase, il y a: un coup de tambour. Un dis- cours est suivi d*un roulement trémolo, Par moment ces bruits me dérangeaient et je me de— mande quelle est la raison d’é- tre de ce tambour, Est-ce pré- vu dans le texte de 1l*’auteur ou bien est-ce une idée du metteur en scéne? Il se peut: que grace a ce soulignement rythmique on veuille rappeler a chaque instant, que ce n’est qu’un jeu et qu’on ne doit pas Pleurer quand Pagliacci rit. TT al al a ee ee Ne nets aa ei ame cm a a nT Oe ee en Ee Srnee E Ee ORE CNS SS OE Oe oe ee | | | ~ ~ Soo ee en ee eee — ea Te ey — - a — _— ae Se rate ee