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Le Soleil de Colombie, vendredi 5 octobre 1984 _7

Ces pages ont été réalisées grace au soutien financier du

Secrétariat d’Etat du Canada.

La Société historique franco-colombienne reprend ses publications
réguliéres dans «Le Soleil»

Probablement le plus con-
nu, le plus controversé des
Chefs Indiens de histoire des
tribus indiennes du continent
nord-américain, | dépassant
largement la renommée du
Chef Pontiac (1720-1769)
d’Ottawa, la figure centrale
de la rébellion des Indiens
contre les Anglais du territoire
américain, en 1763-1765, sou-
vent appelée la Conspiration
Pontiac.

Le capitaine John T.
Walbran (1848-1913), dans
son magistral ouvragé intitulé
“British Columbia Coast Na-
mes 1592-1906” Edition
Vancouver Public Library,
1971, nous donne une des-
cription colorée de ce person-
nage, dont nous avons retenu
les grandes lignes, sans négli-
ger les 28 pages que lui réserve
Pierre Berton dans son “The
Wild Frontier” et l’ouvrage de
Ian S. Mahood, de Vancouver
Quest, ..-the Land ~ ot
Maquinna” (1971).

Maquinna, sans conteste, a
marqué une page noire dans

Vhistoire de I’ile Quadra-
Vancouver de _ 1’époque.
Quand notre héros_ de

Roquefeuil le rencontra pour
la premiére fois, il avait déja
60 ans et un passé trés chargé,
puisque les historiens le dési-
gnaient sous le nom de “Le
tueur de Boston”.

De quoi s’agissait-il? En
1803, un navire américain
“Le Boston” jeta l’ancre a
Friendly Cove (Yuquot), avec
un équipage de 29 hommes et
le capitaine John Salter. Invi-
tations de part et d’autre.
Echanges de cadeaux, amabi-
lités etc. L’histoire nous cite
que le capitaine Salter trouva
le présent regu de Maquinna
“Péchak” (mauvais) une dis-
cussion s’ensuivit avec des
mots insultants, Maquinna
traité de menteur, d’homme
dépourvu de dignité etc
Maquinna, qui massacrait la

' langue de Shakespeare, ne dit

mot: pensant que la ven-
geance est un plat qui se
mange froid.

Le lendemain, revenant a
bord avec ses hommes, sou-
rires aux lévres, apporta une
cargaison de saumons, se
montra affable, de bonne

humeur et s’assurant que
l’équipage était dispersé, une
partie a terre, il donna |’ordre
du massacre total, impitoya-
ble, on  niinsulte pas
Maquinna... Des 29 hommes

de l’é€quipage, deux hommes |
furent épargnés de l’horrible *

décapitation, mais pris com-
me esclaves du maitre, John
R. Jewitt, l’'armurier du navire
et John Thompson, homme a
tout faire (40 ans) contre 20 a
Jewitt, qui le fit passer pour
son pére, le sauvant ainsi.

Tay

; i eff
Sur ordre du _bourreau
Maquinna, les tétes furent ali-
gnées sur le pont et Jewitt
obligé © de mettre un nom sur
chacune d’elles. Horrible be-
sogne pour ce jouvenceau. II
fut obligé de baiser les mains
et les pieds de son nouveau
maitre, se soumettre 4 son bon
vouloir, apanage des esclaves,
lui servir d’armurier, de garde
de corps dans _ certaines
circonstances dangereuses, de
se nourrir en compagnie des
esclaves du Chef etc. Le tout
fut enduré de mars 1803 a
juillet 1805 - 520 jours de
miséres.

Par contre John Thompson,
d’un tempérament trés dur,
provocateur, batailleur, au-
dacieux, illettré, haineux en-
vers les Indiens qui avaient
décapité ses compagnons. A
diverses occasions, il défia
Maquinna qui voulait le faire
décapiter, mais retenu par
Jewitt (le supposé fils) qui
menagait de se suicider, si son
pére était exécuté...

Jewitt, plus modéré, fatalis-
te, homme bible en main,

Maquinna,
probablement

le plus connu et

le plus controversé
des chefs indiens de
Vhistoire du continent
nord-amérnicain

ayant l’esprit d’aventures, trés
impressionné par les récits de
James Cook et George
Vancouver qui ont brillam-
ment mis sur la carte du
monde notre céte du Pacifi-
que: il le fera a son tour ainsi
que le Marquis de Roquefeuil.
Naturellement, Jewitt et
Thompson furent toujours ob-
sédés par le désir de fuir, de
s'évader, mais ou et comment?
pas de navirés en vue, l’occa-
sion vint plus tard, nous y
reviendrons plus loin.

Village
Nootka

John R. Jewitt

PAR ALEXANDRE SPAGNOLO

en Colombie britannique

La terreur du chef des Nootka

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Des blancs otages des Indiens

Pas de navires en vue, pas
tellement. Trois jours aprés le
massacre, nettoyage complet
du sang, des cadavres et tout
le bazar qui suit d’une telle
horrible action, le navire
Boston pillé tous azimuts, in-
cendié, coulé, deux navires
américains s'approchérent du
rivage, en l’absence du Chef
Maquinna et de ses esclaves
blancs, les Indiens les firent
déguerpir au plus vite, ne
désirant pas de les voir consta-
ter le drame du massacre.
Maquinna mis au courant se
mit en colére: il fallait laisser
les navires pénétrer dans la
baie, commercer avec eux:
chose importante, ne pas
effrayer- d'autres navires de
venir mouiller dans les eaux
de son ile.. le gars plein de

jugeote...
Maquinna en avait contre le
Commandant Estevan José

Martinez, qui vint s’établir sur
ses terres par ordre du Vice-
Roi d’Espagne au Mexique,
responsable du meurtre de son
frére, Qualicum, il avoua a
John Jewitt, que le massacre
du Boston, a part l'insulte
subie,était aussi une vengeance
latente contre les Blancs.
Toute cette affaire, devait
donner 4 Maquinna un énor-
me prestige parmi toutes les
tribus indiennes environnan-
tes, qu’un Indien tienne en
esclavage des Blancs, lorsque
la régle générale réside dans
linverse.

John Jewitt fut averti que
toute tentative de fuite, toute
défection vers son ennemi le
Chef Wickinnish, du sud, a
Clayoquot et de se mettre a
son service serait punie de
mort. D’ailleurs, ce chef du
sud voulut recevoir sept déser-
teurs du navire américain le
“Manchester” de Philadelphie
ancré dans ses eaux,
‘Maquinna réussit a les faire
saisir et massacrer sans merci.
D’autres chefs Indiens essayé-
rent de soudoyer ]'indispensa-
ble armurier Jewitt, et cela
secrétement, il refusa tou-
jours, se méfia toujours.

Une jeune Indienne, deve-
nue Borgne 4 la suite d'un
accident, elle-méme __belle-
soeur deMaquinnane trouvant

pas un €poux, proposa a
Jewitt d’étre son favori... avec
ce que cela comporte et
comme toile de fond, la
perspective d'une fuite a
deux. Il refusa.

Une cure
pour la folie

Un curieux incident eut lieu,
le beau-frére de Maquinna
.devint fou a la suite du décés
de son fils 4gé de 11 ans, chose
inconnue chez les aborigénes:
pas le décés, mais la folie.
C’était un intrépide guerrier,
un homme courageux, un
tueur de qualité, une grande
expérience dans l'art de la
décapitation, prouvée lors du
massacre de l’équipage du
Boston, aussi, il était convain-
cu que cette perte était en
relation avec ledit massacre,
une punition des dieux.

Maquinna demanda 4 ses
deux esclaves anglais, s’ils
avaient jeté un sort sur ce
beau-frére nommé
Tootouche. Non, fut la ré-
ponse. I] demanda 4a Jewitt et
Thompson, comment dans
leur pays on traite les fous.
Réponse, tout simplement, le
fouet et une camisole de force.
Maquinna fit essayer ce “sys-
téme”, le trouva trop brutal a
regarder... quel coeur le bon-
homme.. le fit cesser, en
disant, s'il n’y a pas moyen de
lé ‘soigner, qu'il reste fou
toute sa vie. Une logique pas
folle, n’est-ce pas?

Un autre incident eut lieu en
1792, lorsque le noble capi-
taine Juan-Francisco Bodega y
Quadra était prés de
Maquinha, ce dernier avait
ordonné |’exécution d’un de
ses hommes pour avoir séduit
une fillette de neuf ans. Juste
avant l’éxécution, le Chef
Maquinna alla se réfugier
chez le capitaine Espagnol,
pour ne pas entendre les la-
mentations du coridamné...

On sait que M. Vimont était
a bord du navire “Le
Bordelais” en tant que méde-
cin-chirurgien, aussi au cours
de ses recherches, plutét pous-
sé par sa curlosité, trouva des
ossements humains, pour lui
pas d’erreur, un certain can-

nibalisme existait toujours.

Des histoiriens avaient rai-
son de croire que les Indiens
de Nootka, tout autant que les
autres, ont été des anthro-
pophages et tentés de croire
que cet usage abominable se
perpétuait encore lors du
séjour de Camille-Joseph,
marquis de Roquefeuil, a
Note:

Des chefs Indiens avouérent
aux Espagnols, lors de leurs
premieéres relations avec eux,
que quelques-uns des leurs,
des guerriers exaltés, se délec-
taient a cette nourriture hu-
maine, prétendant qu’elle
donnait une énergie passable-
ment accrue, lors des divers
combats.

D’aprés les relations des
deux chefs de marque, dont
s'est appuyé le capitaine bri-
tannique John Meares,
Maquinna lui-méme 4 cette
époque, faisait immoler a
chaque nouvelle lune un de
ses esclaves pour satisfaire sa
gloutonnerie. Le choix de la
victime était fait parmi un
groupe, probablement le plus
dodu: aprés lui avoir bandé
les yeux, il était égorgé,
dépecé, cuit au feu de bois, le
régal des dignitaires. Les com-
pagnons €pargnés, en atten-
dant la prochaine lune, s’a-
donnaient a des célébrations
pour leur chance par des cris

de joie, , et des diverti-

sements.De Roquefeuil, au
cours de ses séjours et ses
entretiens avec le Chef
Maquinna, sembla avoir dou-
té de ces pratiques et moeurs,
sarement changées avec les
fréquentes rencontres avec des
navigateurs étrangers.

Retour a
Jewitt
Ici, nous laissons pour un
certain temps notre héros, le

capitaine marquis de
Roquefeuil avec son interlocu-
teur le Chef Maquinna, afin
que notre lecteur ne soit pas
anxieux au sujet de la fin de
l’odyssée du malheureux John
Rodgers Jewitt.

Ce jeune armurier de 22 ans.
en 1805, et son pére fictif

-Cove), avec la

lirascible John Tompson vi-
rent leur salut probable, lors-
que le navire américain
“Lydia” de Boston vint jeter
lancre 4 Yuquot (Friendly
iction du
Chef Maquinna, qui vit 1a des

transactions profitables:
Quelle erreur!
Jewitt-Thompson cachérent

leur vive émotion. Ils complo-

John Meares

térent afin que Maquinna
aille a bord, muni d’une lettre
de recommandation auprés
du capitaine dudit navire,
pour lui rendre les honneurs
dis a son rang. La famille, les
nombreux dignitaires conseil-
lérent Maquinna de s’en abs-
tenir: rien n’y fit, il pria Jewitt
de l’accompagner, celui-ci dé-
clara qu'il tenait 4 demeurer
a Nootka, ov il avait femme et
enfant...

La lettre signalait au capi-
taine Hill, qu’ils étaient
resca) du massacre du
“Boston” esclaves, As plus
de deux années, du Chef
Maquinna, de se saisir de lui
comme otage et de traiter leur
libération (Jewitt-
Thompson). Combine par-
faite. Maquinna, souriant,
confiant, avec 4 peaux d’o-
taries, monta a4 bord, natu-
rellement, il ne lisait pas
langlais...

en