eS osine Kaley consacre une bonne partie de ses heures de loisir a travailler avec les immigrantes et surtout les réfugiées afin de leur aider a se tailler une place respec- table dans la société canadienne. C'est un travail exigeant et éprouvant qui lui permet de recueillir des témoignages comme celui de Mai et de tant d'autres qui en terre dadoption n‘arriveront jamais a oublierleur misére. Heureusement pour elles, il y a des Rosine Kaley qui tendent loreille... es valeurs de toute société évoluent. Les réles sexuels se modifient 4 un rythme plus ou moins rapide. Celui de “fille-épouse-meére" éclate. L’image tradi- tonnelle de la femme colle de moins en moins avec la réalité. Pour certaines ce- pendant, la rupture entre le réle traditionne! pour lequel elles ont été préparées et celui _ qu’elles doivent jouer se fait trop abrupte- ment. Le temoignage de Maia ce sujet est éloquent. Née et élevée au Cambodge (Kampuchea) dans la religion musulmane, Mai a appris que sa responsabilité pre- miére était de veiller a sa famille. Et c'est ce qu'elle fait depuis 30 ans. Au risque de sa vie, de sa santé physique et mentale, elle poursuit la lutte. Mariée a l'age de 14 ans, Mai vit avec toute sa famille dans un village cambod- gien. A 22 ans, elle a 5 enfants en bonne santé : 4 garcons et une fille. Son mari est forgeron; elle découpe et vend de la viande sur le marché. Elle aurait aimé poursuivre ainsi sa vie. En 1973, son destin change. Les Canadian =. Convil Advisory Counal Sd consultatil canadien onthe Status of Women ee sur la situation de la lemme POUR EN SAVOIR PLUS ... Le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme (CCCSF) est un organisme indépendant financé par le gouvernement fédéral et chargé de saisir le gouvernement et le public des questions qui touchent les femmes. Le CCCSF meéne des recherches fondamentales sur des questions sociales, économiques et juridiques telles que la violence conjugale, la pornographie, les femmes et les regimes de pension. Le CCCSF publie sous forme de livres, livrets, documents de référence, mémoires et feuillets documentaires. On peut obtenir la liste des publications gratuites du Conseil en s'adressant au bureau central. Bureau central 110, rue O'Connor 9® étage Ottawa (Ontario) K1P 5M9 (613) 992-4976 Bureaux régionaux 2021, avenue Union Piece 875 Montréal (Québec) H3A 2S9 (514) 283-3123 220, 4© avenue S.E Piéce 270 Calgary (Alberta) T2P 2L6 (403) 292-6668 Bureau local 269, rue Main Piéce 600 Winnipeg (Manitoba) R3C 1B2 (204) 983-3140 CLEMENCE Clémence, retraitée et bénévole, se dévoue a la cause des immigrantes; elle s'assure de leur trouver gite et vétements, pour faciliter leur intégration, dés leur arrivée. A la recherche des siens Khmers Rouges envahissent son village. Mai et sa famille s’enfuient a travers champsetparviennentas’embarquer dans un autobus: Aprés avoir roulé jour et nuit, ils débarquent dans un endroit plus sir et tentent de s'adapter a leur nouvelle situa- tion. Deux ans plus tard, tout le Cambodge tombe sous la domination des Khmers Rouges. Mai et sa famille doivent de nou- veau s’enfuir. "Les Khmers Rouges tuent tout le monde, les femmes, les enfants, juste pour le plaisir" déclare Mai. Entre 1975 et 1987, prés de deux millions de pe 8 Cambodgiens sont en effet massacrés. Le mari et un des fréres de Mai sont parmi les victimes. Mai s'occupe alors de ses pa- rents, de son plus jeune frére agé de 7 ans, de sa soeur cadette et de 4 de ses enfants (elle aperduson 2e fils, agé de 6 ans, dans la fuite). Ils sont tous sous-alimentés et malades. Ses parents, sa soeur et ses deux plus jeunes fils meurent durant cette période. Eventuellement, Mai est faite prison- niere par les Khmers Rouges. Elle est battue et enfermée pendant deux mois dans une cage si petite qu’elle ne peut pas se lever. Sa fille est chassée seule sur la route par les soldats. Elle est agée de 3 ans et ne survivra pas longtemps. Son fils ainé et son jeune frére se sont cachés a l'arrivée des soldats. Lorsqu’elle sort de la cage, Mai est si faible qu'elle ne peut se tenir debout. Les soldats se moquent d’elle et, par jeu, la jettent de l'un a l'autre comme une poupée de son. “lls trouvaient cela trés dréle" dit Mai "moi pas". Ils la lancent finalement a 6 — CAHIER DES FEMMES, MARS 1989 V-- YS CSAM eSMivi99 2aCi ASIHAD terre. Elle ne peut se permettre de mourir, elle a des enfants et un frére a retrouver. Elle ne retrouvera que son fils ainé qui est tres malade. II ne voit et n'entend pres- que plus. Elle décide d’aller le mettre en sécurité et le faire soigner dans un camp prés de la frontiére thailandaise. L’armée vietnamienne a occupé le Cambodge entre temps. La mére et l'enfant marchent, pieds nus, pendant 1 mois et demi. Ils se nour- rissent de racines et de riz sauvage. Lors- quills atteignent la frontiére, l'enfant est devenu aveugle et sourd (il le demeura) et fut transporté dans une léproserie du coté thailandais. Mai doit rester sans nouvelles dans le camp de réfugiés du cété cambod- gien. Impuissante, elle décide de retourner chercher son autre fils et son jeune frére. Sous les feux (la guerre fait rage entre Vietnamiens et Khmers Rouges), elle re- brousse chemin, toujours a pied. Elle re- trouve son deuxiéme fils et au bout de quelques mois abandonne la recherche de son frére. Personne ne sait exactement qui est mort, qui est encore vivant. Ils retour- nent au camp. Son frére alors Agé de 9 ans arrive tout seul quelques mois plus tard. Une nuit, il décide (sans le dire 4 sa soeur) de passer illégalement les barrages thai- landais pour aller prendre des nouvelles de son oncle. {Il se perdra et se retrouvera éventuellement en Malaisie, ayant chemi- né seul tout au long du parcours. Mai reste plusieurs années dans le camp frontalier avec son deuxiéme fils. Elle a deux autres enfants pendant cette période. Rationnée a peu de riz et de sel par jour elle est tellement maigre que pen- dant ses grossesses, elle ne peut obtenir la ration supplémentaire a laquelle les femmes enceintes ont droit car personne ne croit qu'elle attend un enfant. Elle ac- couche de deux enfants chétifs, un gargon puis une petite fille dont une jambe ne s'est pas formée. Craignant pour la survie de ses enfants, Mai décide de tenter le tout pour le tout et passe a son tour les barrages thailandais durant la nuit. Elle sait que "90 % de ceux qui essaient sont abattus ou se font pren- dre". Avec ses 3 enfants, dont un bébé, elle rampe sous plusieurs barriéres de bar- belés, s'arrétant pour laisser passer les patrouilles qui illuminent réguliérement les barrages de leurs lampes électriques. Un soldat passe tellement proche qu'il marche sur ses cheveux mais il ne la voit pas. Arrivés en terre thailandaise, Mai ap- prend que son fils ainé a été parrainé par un groupe d'entraide canadien et se trouve en Ontario. Avec insistance, Mai entre- prend alors démarches sur démarches pour immigrer au Canada. Elle doit subir les railleries constantes des autorités lo- cales ("une veuve qui continue a faire des enfants... est-ce qu'elle compte en avoir d'autres") et le harcelement des hommes dans le camp. Mai n’abandonne pas. Fi- nalement, en 1983, prés d’un an plus tard, la mére et les 3 enfants seront parrainés par un groupe de Chelmsford, Ontario. Au Canada, Mai doit apprendre une autre stratégie de survie : arriver a élever 3 enfants avec les allocations du bien-étre social. Bien qu'elle parle l'anglais couram- ment maintenant, Mai suit toujours des cours d’anglais car elle veut apprendre a lire et a écrire, elle qui n’a jamais eu l’op- portunité d’aller a |’école. Elle veut aussi apprendre le francais “parce qu’au Cam- -bodge tous les gens importants parlaient francais". Mai a toutefois d'autres préoccupa- tions. Elle a entrepris de faire venir au Canada son frére ainé (qui habitait dans une autre partie du Cambodge quand les Khmers Rouges sont arrivés) et qui se trouve dans un camp de réfugiés depuis 1979. Il n’a jamais eu la possibilité de rencontrer un officier d'immigration. Le camp doit fermer prochainement. Les ré- fugiés seront rapatriés au Kampuchea aprés le retrait des troupes vietnamiennes et l'instauration d'un régime Khmer auto- nome. Mai craint pour la vie de son frére. Elle a aussi retrouvé la trace de son jeune frére en Malaisie et a réussi a le faire venir au pays, il y a quelques mois, muni d'un visa de tourisme. Comme bien d'au- tres, il a fait une demande pour obtenir un statut de réfugié et attend d’étre convoqué pour son enquéte. Avec|'entrée en vigueur dela loi C-55 restreignant l'accés au Cana- da des réfugiés, Mai a peur que son frére soit déporté en Malaisie par les autorités canadiennes. "Aprés l'avoir perdu pendant tant d’années, je ne pourrais pas supporter de le voir partir" déclare-t-elle en pleurant. Mai n’a donc pas terminé sa mission. Avec courage et détermination, elle conti- nue de protéger et de pourvoir aux besoins des siens. Bien que toute menue, Mai dissimule une force intérieure incon- testable qui lui permet de surmonter les obstacles. "Vénére tes parents, respecte et satisfait ton époux, prend soin de ta famille" lui a-t-on enseigné dans son en- fance pour toute ligne de conduite. La vie aura rendu sa tache particuliérement diffi- cile. Rosine Kaley Mai, en compagnie de son jeune frére Yussef, qui attend toujours son statut de réfugié.