2 - Le Solezl de Colombie, vendredi 30 octobre 1987 —COURRIER DES LECTEURS: Docteur Jekyll-Audifax et Mister Hyde-Lesire M. le Rédacteur en chef, Que le diable m’emporte, Monsieur le Rédacteur en chef, si je pensais me laisser entrainer dans une polémique épistolaire, une argutie épistolaire devrais-je dire, avec le journaliste du Soleil, M. André Lesire. Soit dit en passant, l’éphémére et modeste notoriété que m’a value ma derniére lettre au Soleil, et qui s'est traduite par une bordée de coups de téléphone approbateurs, m’a permis de me rendre compte qu'un mystére plane sur l’existence méme du soi-disant journaliste. (Que Monsieur Lesire ne se formalise pas; l’adjectif soz-disant n'a ici rien de péjoratif quant asa valeur professionnelle, méme si... Non, je ne l'utilise dans cette lettre que pour stigmatiser l’incertitude de son hypothétique existence.) Monsieur Lesire est-il un journaliste en chair et en os ou une chimére? Personne ne semble l’'avoir jamais rencontré; a tel point qu’en écrivant ces mots j'ai un peu l'impression de communi- quer avec l’au-dela. Certains m’ont affirmé que André Lestre n’était qu'un commun pseudo- nyme utilisé par plusieurs personnes; d’autres qu'il s’agis- sait d'un homme politique qui préférait rester dans l’ombre; d'autres encore pensent retrouver en lui le style d’une femme fort connue. On m’a méme insinué une hypothése selon laquelle Monsieur André Lesire ne serait que... vous-méme, Monsieur le Rédacteur en chef! Mais je n’ose y croire. Est-il possible que votre personnalité soit double? Le jour, une sorte de Docteur Jekyll- Audifax, francophile souriant et sympathique, et la nuit un monstrueux Mr. Hyde-Lesire qui emploie ses efforts 4 démoraliser et A détruire la minorité francaise de Colombie-Britannique, et, de ce fait, son propre journall... N’est-ce pas totalement invrai- semblable? Moi qui, dans ma derniére lettre, espérais faire muter Monsieur Lesire a la rubrique des chiens écrasés, j'ai bien peu de chances d’étre -satisfait, du moins si cette hypothése se révéle exacte. Quoi qu'il en soit, il importe fort peu, en fait, que Monsieur André Lesire soit un homme public ou une fille publique. Aussi, sans perdre plus de temps en vaines tirades, je rentre de ce pas dans le vif du sujet. Je ne nie pas, Monsieur le Rédacteur en chef, que la propagande internationale, dont Monsieur Lesire se fait le porte-voix zélé, tende a vitupérer contre la présence «coloniale» de la France non seulement dans le Pacifique-Sud mais aussi dans le reste du monde : Mayotte dans l’Océan ‘indien, les Antilles francaises, la Guyane, St-Pierre- et-Miquelon, et j’en passe. Mais le drame de la France, «drame» des plus flatteurs d’ailleurs, c'est que ce sont ces populations d’outre-mer elles-mémes qut refusent lindépendance, et non pas l’inverse comme tente de le faire croire une certaine presse orientée. Si Monsieur Lesire suit la politique francaise depuis 1981, depuis l’arrivée de la Gauche au pouvoir, il doit savoir que Monsieur Mitterrand a toujours encouragé les mouve- ments autonomistes d’outre-mer, a condition quiils respectent Vordre et la démocratie. Il y a un mois a peine la France donnait la preuve de cette volonté d’indé- pendance en organisant un référendum en Nouvelle Calédo- nie. Plus de 95% des votes déclarérent vouloir rester fran- ¢ais. Et si certaines tribus Kanaks ont décidé de boycotter le référendum qu’elles réclamaient a cor et a cri jusque-la, c’est qu’étant en minorité elles se savaient battues d’avance. Jaimerais que Monsieur Lesire me précise par qui donc, selon lui, «la présence coloniale de la France dans le Pactfique» peut étre contestée, suivant son expression personnelle, si les principaux intéressés, les Néo- Calédoniens eux-mémes, dési- rent rester francais 4 95%? En fait les seuls a s’opposer 4 cette présence de la France dans cette" région sont eux-mémes des intrus : l'Australie, la Nouvelle-Zélan- de et les multinationales, c’est 4 dire ceux-l4 méme qui aime- raient prendre sa place enviée, car les milliers d’iles et d’flots francais déterminent un gigan- tesque territoire marin qui recéle des richesses souterraines non moins gigantesques. Que devrait donc faire la France, selon Monsieur Lesire, pour retrouver Vamitié de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande? Abandonner ces paradis en dépit du désir de leur population? Serait-ce cela la démocratie souhaitée par Mon- sieur Lesire? Croit-il vraiment que la France y gagnerait autre chose que du mépris? Quant aux populations locales subitement privées de la Sécurité Sociale, des allocations familiales, de la protection d'un grand pays, elles se retrouveraient livrées, pieds et poings liés, 4 la misére la plus désespérée et aux _ rivalités politiques les plus destructrices. Je voudrais savoir qui Monsieur Lesire cherche 4 défendre? Les populations locales ou ses idées toutes faites? Monsieur Lesire va sans doute, comme dans sa derniére lettre, se contenter de repousser ces arguments d'un revers de main en prétextant que critiquer la France n’était «pas l’objet de son article». En fait, Monsieur le Rédacteur en chef, il me semble évident que Monsieur Lesire joue sur les mots afin de se dérober, car si vous relisez son article du 4 septembre (Nouvelle Calédonie : la tension monte), vous ne pourrez manquer de percevoir que ce journaliste ne cherche absolument pas 4 nous présenter objectivement la situation. Son langage polémique s’efforce seulement d’attirer le lecteur dans le camp de ceux qui condamnent la France et la majorité néo-calédonienne pro- francaise. Je cite ici quelques extraits du texte que Monsieur Lesire prétend d’une objectivité absolue : «M. Chirac a ensuite tenu a insulter les Anglophones en...», «...manifestation [des Kanaks | qui était pazstble jusqu’a ce que les gendarmes attaquent et dispersent les manifestants a coups de bdtons...», «...mats la France a exercé des presstons économiques pour que finale- ment les criminels sotent relachés...» (ce qui est faux ‘ingénu puisque les agents secrets sont encore sous les verrous.) Je vois aussi que l’esprit anti- démocratique de la minorité Kanak, qui veut pallier son manque de poids démographi- que en interdisant 4 la majorité blanche de voter, ne tracasse pas du tout votre journaliste. Ce n’est pas non plus «l’objet de son article», dit-il, en brandissant l’Express 4 bout de bras comme un petit-livre-rouge-de-Mao. Seul l’esprit «anti-démocratique» des Francais qui ne veulent pas obliger la Nouvelle Calédonie a étre indépendante semble faire «objet de son article». Serait-ce donc que, selon lui, les Kanaks ne sont pas encore a un stade de civilisation assez avancé pour étre soumis aux mémes obligations démocratiques et morales que les blancs? Son systéme de deux poids et deux mesures suivant la couleur de la peau me choque profondément, d’autant plus que c’est une forme de racisme que de nombreux journalistes de la désinformation pratiquent allé- grement en _ rapportant les nouvelles du monde : le régime raciste blanc d'Afrique du Sud est condamné dans les termes les plus vifs (et avec raison d’ailleurs), mais que les peuples Ibos, érythréén ou rwandais soient massacrés par des ethnies plus nombreuses de leurs pays, cela ne souléve pas plus de protestations outrées que lorsque une meute de coyotes tue et dévore un troupeau de gazelles. C’est la nature, n’est-ce pas? Au sujet de son article sur «Le francais, quel avenim (par la méme_ occasion, pouvez-vous signaler a Monsieur Lesire que le mot «élucubration» est féminin) , que je considére encore comme un modéle de défaitisme qui n'a pas sa place dans un journal comme Le Soleil. «C'est a se demander, conclut-il dans son article, «st dans une ou deux générations, le francais ne sera plus qu’une langue récréative pour ceux qut, ayant déja appris Vanglais pour LES CHOSES SERIEUSES, auront le temps et Venvie d'apprendre le frangats comme ga, pour le plaisir.» Comment un journaliste franco- phone peut-il faire un humour douteux et balourd’ sur une langue que nous aimons tous, que nous respectons et qui nourrit non seulement notre esprit mais notre corps? Et, qui plus est, dans notre journal! N’est-ce pas de la provocation pure et simple? Pourquoi cette ingratitude de sa part 4 mordre la main qui le nourrit? «J’az, semble-t-il, le don d’exaspérer M. Castex...» s'éton- ne candidement Monsieur Lesire aprés avoir écrit cela. Faut-il étre pour se demander pourquoi. Si je maintiens que son article est un exemple concret de désinformation, Monsieur le Rédacteur en chef, c’est qu'il donne une idée tout 4a fait tronquée de la place internatio- nale de la langue frangaise. Et je vais le prouver. En effet, il ne fait aucune distinction entre le réle relatif du francais dans le monde et sa situation absolue. Relative- ment 4 la langue anglaise, il est vrai que cette derniére a pris une extension sans précédent qui la place en téte des langues du monde. Mais pourquoi n’ajoute- t-il pas aussi qu’en valeur absolue le nombre de parlants francais augmente dans le monde 4 une vitesse fort intéressante qui devrait remonter le moral défaillant de Monsieur Lesire. Que ce journaliste lise donc son ‘Mats qui est donc M. Lestre?», propre journal, cela lui sera utile pour écrire des analyses plus sérieuses et par conséquent plus professionnelles. Par exemple, a la page 4 du Soleil du 11 septembre, celui-la méme qui contient son article déplorable, un autre journaliste annonce que «les Francophones vont atteindre 200 millions en l’an 2000», alors qu'ils sont 140 millions en 1987! Une augmentation de 30% en 13: ans! N’est-ce pas extraordinaire? Monsieur Lesire devrait sabler le Champagne, ou du moins le Seven-up, devant des perspecti- ves aussi souriantes. Selon cet article, résultat d’une étude de Gabriel de Broglie, «le frangats est parfaitement adapté au développement des sciences de l'information, et, en particulier, de linformatique. Il pourrait exprimer toutes les données de la technique.» L’avenir est donc assuré, et Monsieur Lesire pourra encore longtemps continuer de nous abreuver de ses articles partiaux dans Le Soleil de Colombie. Je vous prie d’agréer, Monsieur le Rédacteur en chef, l’expression de mes meilleurs sentiments. Jean-Claude Castex Surrey Monsieur Castex, Que n’aurai-je pas entendu au sujet du «Sieur» Lesire! Assez, je crois, pour lancer le «concours avec comme prix, un voyage pour deux personnes en Nouvelle- Calédonie ou, mieux encore, un abonnement A vie au Soleil de Qui est M. Lesire? s’interroge- t-on- D’ow vient-il? Est-il un journaliste fantéme, un pseudo- nyme, une simple signature ou une carte de visite dont tout le monde userait, 4 l'image du célébre «M. Smith» du non moins célébre roman L assassin habite au 21? M. Lesire est-il encore un «homme public» ou, pourquoi pas, une «fille publique»? Voila certes deux possibilités auxquel- les je n’avais pas pensé, et qui ne manquent pas d’audace quoi- qu'on puisse s’intéresser a l’une ou a l’autre pour des raisons différentes. M. Lesire n’est-il enfin que l’ombre de moi-méme, une sorte de Mister Hyde qui, 4 mon insu, viendrait hanter mes nuits? J’ose croire que non, en tout cas-ni moi ni méme mes proches n’avons remarqué quoique ce _ soit d’anormal de ce cété-1a. Et si M. Lesire n’était qu’un simple journaliste qui essaie de faire son travail le plus honnétement possible au risque de déplaire ou encore de commettre quelques bévues qui auront au moins le mérite de faire réagir certains lecteurs au bénéfice de tous. Sachez quand méme, M. Castex, que votre lettre et votre style ne sont pas pour me déplaire. Pour un peu, j'aimerais que M. Lesire vous pique a nouveau ne serait-ce que pour avoir le plaisir de vous lire encore! Patrice Audifax IN a: (2X ; ““e UT LSS Diane Duclos, thérapeute © Relaxation - Shiatsu - Réflexologie e uilibration d’énergie : couleur, essences, nutrition Pour consultations individuelles op, ateliers offerts: Tél.: 873-2848 © Biokinésiologie (Touch For Health) |’ Téléphone: [604] 682-3664 .Télex: 04-54467 Douglas MacAdams Litiges civils - Droit familial -EN FRANCAIS- AVOCAT RICHARDS,BUELL,SUTTON 300, 1111 Melville Vancouver, C.-B. V6E 4H7 ' Le seuljournal en frangais de la Colombie-Britannique Fondateur ; Président-Directeur : Jacques Baillaut Rédacteur en chef : Patrice Audifax Journaliste-coopérant : Patrice Romedenne Photocomposition : Anita Charland Coordinatrice administrative : Héléne Adl Abonnements : Suzanne Bélanger Vente de publicité : Marc Levasseur André Piolat al APF re. 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