8 Le Soleil de Colombie, Vendredi 10 Mars 1978 30 P’TITES MINUTES avec Hubert Gauthier (premiere partie) L'avenir des héritiers... Jeune et ardent défenseur des droits des francophones hors Québec, Hubert Gauthier fait partie de ceux qui ont: travaillé ferme a la préparation du rapport “Les héritiers de Lord Durham”’, publié il y a prés d’un an par la Fédéra- tion des francophones hors Québec. A titre de directeur général de la FFHQ et de militant de la cause de la fran- cophonie canadienne, Hubert Gauthier a accepté de nous parler de la situation de “‘ces héritiers”’. par Guy O'Bomsawin photos Francine Lalonde ®@ Quelle est la raison majeure pour laquelle les fran- cophones hors Québec sont dans la situation périlleuse décrite dans ‘“‘Les héritiers de Lord Durham”? Ce que je vais dire va surprendre, parce que c’est a contre-courant d’une mentalité qui veut s’installer. Les francophones, dans une large mesure, sont assimilés lin- guistiquement et psychologiquement. Ca s’est amené comment cet état de choses? Crest ce qu’il faut comprendre avant de parler de francophones qui lachent ou de francophones qui sont tannés, écoeurés, et qui se joignent a la masse anglophone-parce que c’est une solu- . tion facile. Quand ¢a fait des générations que tu as a vivre comme francophone hors Québec, en.Ontario, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, dans n’importe quelle province; quand tu as a vivre a contre-courant de tout depuis des générations — parce que ¢a se transmet de génération en génération l’écoeurement d’une bataille —; quand tu as a vivre a l’encontre de toute cette vague anglophone, tu viens .= convaincre, jusqu’a un certain point, que tu es anor- ~ On. t’a obligé a vivre dans “‘l’anormalité”, en marginalité. Je ne dis pas ‘le francophone s'est obligé™’. Quand on recule, et c’est la qu’on retrouve nos fondements historiques (c’est pour ¢a qu’ils sont importants, et que des gars comme Roy, de l’Ontario, disent ‘Il faut vivre dans le présent et dans le futur, non dans le passé"’), il ne faut pas oublier le fait d’avoir été mis dans une position de mar- ginalité, d’avoir di, comme francophone, vivre al’encontre de toute une société, et vivre dans un monde ot on lui a enlevé beaucoup de choses pour lesquelles il a di se battre pour les ravoir. En cours de route, une telle bataille finit fatalement par créer chez le francophone un esprit qui, caricaturé, peut se dessiner ainsi: ‘‘Etant francophone, j'ai besoin de telles choses: une école francaise, un service de soins dans ma langue, des loisirs dans ma langue, des garderies . . . mais je suis toujours obligé de me battre pour avoir ¢a. Pour obtenir n'importe quoi, a tout coup, il faut que je me batte, il faut que je m'organise, il faut que j’aille a des réunions, il faut que je dépense de l’énergie plus que la plupart des gens. Le francophone vient a se tanner de ¢a. Il vient a se dire “Je demande ma garderie, et on me la donne ouonne me la donne pas! Puis six mois plus tard, je suis obligé de demander autre chose. Je suis toujours en train de qué- mander”’. A un moment donné, ce bonhomme-la se tanne de vivre dans une situation ou il a toujours la téte sortie de l’eau. Les autres disent autour de lui: ‘Toi, t'es fatigant''’. Ca peut _ tre les anglophones, les gens de son village, ses confréres, le gouvernement: provincial, fédéral, municipal, scolaire. En fin de compte, le francophone vient a se convaincre que de fait, il est fatigant, et il vient a réaliser qu’il est fatigué d’étre fatigant, parce que c’est la seule facon d’obtenir quelque chose. Par conséquent, il se dit ‘‘Ecoute, c'est bien plus facile de m‘en aller avec la majorité. La, au moins, je vais étre normal. Je vais vivre dans la nor- malité”’. C’est done impossible de dire facilement, comme bien des rengaines de politiciens, puis,d’anglophones qu’on ren- contre tous les jours dans la rue: ‘‘Les francophones eux- memes ne veulent rien!” Ces francophones ont donc été amenés a se convaincre eux-mémes qu’ils n’avaient rien a revendiquer. Quand tu te places dans ce contexte, tu.réalises que les principales dif- ficultés qu’on rencontre a l’heure actuelle résultent de l’érosion, du génocide, de l’assassinat d’un peuple, auquel on assiste impuissants. ‘ C’est aussi simple que ¢a. C’est pas plus compliqué que ¢a. Les francophones ne sont méme pas conscients de cet état de choses. Si tu vis au Manitoba ou en Saskatchewan, par exem- ple, il faut que tu survives comme personne. Si tu es fran- cophone en plus, ta survivance est encore plus difficile a supporter. Si tu trouves déja dur de faire ce qu’il y a a faire quotidiennement, et qu’on t’ajoute quelque chose de plus, on te tue! “Good morning!”’ Tu me décris le francophone en tant qu’individu luttant _pour sa survie et, en plus, pour sa langue et sa culture. Est- ce que le francophone n’aurait pas intérét 4 donner plus d’importance a la lutte menée en collectivité? © ” Le probléme est tout a fait communautaire. II ne faut pas oublier qu’on a méme sapé a un moment donné ]’éner- gie d’une communauté. Ce qu’on fait sur le plan individuel, on le fait aussi sur le plan d’une communauté. Une municipalité, une commission scolaire qui veut donner des services en francais, a les mémes problémes que l’individu qui veut exiger un service en francais. La réponse est un peu dans ta question. Tu as dit ‘Est-ce que le gars ne devrait pas exiger des choses? Est-ce qu'il n'y a pas une facon plus normale de vivre?” L’anglophone, dans sa vie de tous les jours, est-ce qu’il passe son temps a exiger des services dans sa langue? Ben non. Puis lui, iln’a pas a dépenser cette énergie-la. Le francophone, lui, on l’oblige a vivre de cette facon et on dit que c’est de sa faute. Eh bien, je regrette, mais je défends l’individu qui a été mis dans cette situation, qui est celle de vivre a contre-courant. Parce que s’il veut survivre dans une société qui n’est pas la sienne, il est obligé de se battre, on ne parle méme plus de développement! Ca, c’est épuisant! Aprés avoir mené un certain nombre de batailles, tu es épuisé a n’en plus finir. I] n’est pas question qu’on essaie de nous faire dire que les francophones sont défaitistes . . . “‘le résultat, c'est que les francophones sont défaitistes"’. Ce que je comprends, c’est que les francophones peu- vent finir par croire qu’il n’y a plus rien a faire; que c’est fini. A bien des émissions de ligne ouverte, par exemple, les gens disent qu’ils perdent a un moment donné tout espoir de voir se réaliser quelque chose d’intéressant et de perma- nent. La montagne a laquelle ils font face est trop grosse, et ils lui font face dans toutes leurs actions quotidiennes. 2 Imagines-tu un francophone qui entre dans l’autobus le matin, a Winnipeg, et qui dit au conducteur ‘‘Bonjour’'? Ce qui va arriver, c’est que tout le monde va se regarder et _ dire “Y'é fou raide lui’, avec un petit sourire! Le gars est hors de l’ordinaire! Le gars ordinaire, lui, ne veut pas étre hors de l’ordinaire: il veut étre comme tout le monde, alors il va dire ‘Good morning" et ¢a, ce n’est pas parce qu’il a laché. Ga, c’est un aspect fondamental de la lutte que de dire ‘Bonjour’ au.chauffeur d’autobus le matin. Mais il y a un autre aspect: est-ce que les francophones font tout ce qu’ils devraient pour vivre, travailler, administrer en francais; que ce soit 4 la maison, dans leurs entreprises, dans leurs autobus, dans leurs syndicats? Et il y a aussi cet autre aspect qui fait que la télé et la radio francaises entrent maintenant dans beaucoup de foyers sans toutefois — c’est ce que je pense — que les fran- cophones en profitent et que ca les améne a parler davan- _ tage francais et les encourage a développer davantage leur langue et leur culture. Ai-je raison de voir les choses com- me ca? On a situé le débat du francais hors Québec comme une affaire folklorique. Quand on parle de l’espéce d’idéologie qui est véhiculée dans le pays a l’effet que les francophones hors Québec sont des gens qui se battent pour l’éducation, — donc pour leur langue — et des gens qui, de temps en temps, présentent une piéce de théatre ou des choses com- Suite ala page 13 (Ces textes sont fournis par le Secretariat d Etat) teed 1g MMA aes Cees {