4 Le Soleil de Colombie, Vendredi 6 octobre 1978 par Keith SPICER Courtoisie du Vancouver Sun VICTORIA. Mince gaillard aux allures d'un fanatique du jogging, le premier ministre colombien Bill Bennett passe souvent pour le fiston un peu insignifiant du légendaire W.A.C. Bennett. Aprés trois ans au pouvoir, le petit Bill commence a se profiler a Vhorizon nationa! avec un étonnant relief: c’est aujour- d’hui le pére qui se trouve éclipsé. _ Cette semaine Bennett Jr. meuble les archives publi- ques de toute une série de brochures explicitant le point de vue de la Colombie- britannique sur la refonte de la constitution canadienne. Déja en février il avait rendu public un recueil de documents semblables sur -Péconomie. Ensemble, les deux collections littéraires définissent au nom de M. Bennett une politique natio- nale plus cohérente que celle de tout autre premier minis- tre au pays. Ces documents, tout en redorant le blason de Bill Bennett, vont peut-étre éga- lement faire oublier «les clowneries teintées de suffi- sance qui constituaient I’atti- tude officielle de la Colombie en politique nationale telle que précisée par son pére durant les années 60. Mieux encore, ses nouvel- les prises de position en matiére constitutionnelle donneront au premier minis- tre une autre corde a son violon —— le patriotisme lucide —— pour séduire les électeurs de sa province: tout indique un -rendez-vous aux urnes dés cet automne. Ces différents éléments se dégageaient clairement d'une interview ici la semai- ne derniére avec un Bill. Bennett qui parlait d’un ton vif mais tendu. Pendant longtemps, les Canadiens vivant a l'Est des Rocheuses avaient tendance a considérer la Colombie comme un grand village peuplé de bohémiens égo- centriques. Par conséquent, le premier ministre Bill Ben- nett surprend par l’ampleur de sa vision pancanadienne: “la Colombie-britannique ne peut plus se permettre de prendre refuge derriére les montagnes et, d'un air complaisant, de scruter son nombril.” Bennett pére affichait une attitude de je m’en fichisme a Végard du reste du Canada, laissant toujours en- tendre que sa province, elle, n’avait aucun probléme. Le prédécesseur de Bill Ben- nett, le chef néo-démocra- te Dave Barrett, proclamait souvent son attachement au Canada, mais faisait peu de choses pour concrétiser ses beaux principes patrioti- ques. Quant a l’actuel premier ministre, il comprend claire- ment les liens pratiques entre la Colombie et le Canada: “ce qui se passe sur le plan national peut nous affecter,” reconnait-il. “Il s’ensuit que nous voulons notre mot au chapitre” des questions nationales. Cette vérité évidente mais souvent oubliée permet a Bennett (a la différence de nombreux autres politiciens) denvisager la constitution et l'économie comme un seul probléme, ou a peu prés. “Entre les deux questions je n'établis aucune priorité”, dit-il. “On ne peut pas les séparer.” Le chef conservateur fédé- ral Joe Clark et le premier ministre tory de |’Alberta, Peter Lougheed, n’ont aucun mal 4 séparer ces deux sujets —— et cela pour des raisons a la fois partisanes et conceptuelles. Pour ces mes- sieurs, quiconque se préoc- cupe de questions constitu- tionnelles (par exemple des libéraux) se classe parmi les saboteurs et les dilettantes de I’économie. Le dossier constitutionnel de Bennett. repose solide- ment sur la relation écono- mique entre la Colombie et le Canada. La Colombie-bri- tannique est une société perchée sur le littoral du Pacifique. Elle vit de certai- nes exportations (produits forestiers, gaz, charbon, poisson), ce qui l’incite a préférer des échanges inter- nationaux trés libres: dans son monde idéal, la Colombie vendrait ses denrées large- ment convoitées a des prix mondiaux assez élevés et achéterait ses produits ma- nufacturés 4 des prix mon- diaux assez bas (grace ala concurrence serrée: entre pays industrialisés). En réalité, la Colombie- britannique est la troisiéme parmi les provinces les plus riches du Canada (aprés l'Ontario et le Québec), voire la plus riche par téte d’habi- tant. Elle se trouve toutefois dans un carean d’échanges relativement peu libres —— les tarifs douaniers et ferro- viaires du Canada étant fixés, depuis un siécle, pour protéger les industries cof- teuses de ces deux “provin- ces de l'Est”: par exemple, celles qui fabriquent machi- nes, appareils ménagers, chaussures ou vétements. Selon le gouvernement de la Colombie, le Canada de- vrait baisser ses tarifs doua- niers pour persuader d’au- tres pays de lui ouvrir plus généreusement leurs mar- chés pour des produits (de “haute technologie” ou axés sur des ressources naturel- les —— secteurs bien ‘“‘co- lombiens’’) que les Cana- diens peuvent vendre a des prix réellement compétitifs. Un bénéfice marginal, de lavis de Bennett: la concur- rence des produits manufac- turés étrangers sur le mar- ché canadien nous aiderait a dompter I’inflation. Avec l’appui des trois pre- miers ministres de la Prai- rie, Bennett soutient que la vieille constitution de 1867, qui tend 4 consolider l’hé- gémonie économique du Québec et de l'Ontario, doit étre modifiée pour tenir compte de cette réalité mas- sive: ‘Ouest canadien est une puissance économique au moins égale. au Québec. En particulier —— mais cette fois-ci avec moins d’en- thousiasme de la part de ses voisins de la Prairie —— Bennett estime qu’au sein des institutions nationales la _ Colombie doit compter (avec la région de |’Atlantique, le Québec, l'Ontario et la Prai- rie) comme l'une des cing grandes régions économi- ques du Canada. Ces cing régions, selon lui, doivent se refléter dans la composi- tionduSénat et —— entre autres — dans le mode de nomination 4 la Cour supré- me. D’autres institutions pourraient s’ajouter a cette liste. Aux yeux de M. Bennett, cette idée d'un Canada cal- quée sur cing régions —— idée esquissée voila dix ans par son pére, mais sans les: ‘analyses. poussées comman- dées par le fils —— consti- tue “la pierre angulaire des propositions constitutionnel- les de la Colombie-britanni- que.” A tel point que M. Bennett avoue que ses fone~- tionnaires sont allées plus d’une fois consulter a ce sujet le chef libéral du Qué- bec, Claude Ryan, qui aun moment donné manifesta un certain intérét pour cette notion. Le concept d’un Canada a cing poussa Bennett a lancer la grande campagne consti- tionnelle dont le caractére concerté devint clair cette semaine. En mai dernier, Bennett prononga un discours offrant une mini-charte pour la constitution et une maxi- stratégie pour l'économie. La semaine derniére il dépé- cha a Ottawa son “‘minis- tre de la constitution”, M. Rafe Mair, pour témoigner (le seul de toutes les pro- vinces a se déranger 4 cette fin) devant le comité mixte du Sénat et dela Chambre des Communes qui examine en ce moment les projets constitutionnels de M. . Pierre Trudeau. Enfin, profitant de sa mauvaise expérience a la conférence économique de février (sa savante documen- tation se perdant dans un océan de paperasse), M Bennett enverra ses neuf cahiers sur la constitution a tous les autres premiers ministres bien avant leur prochaine conférence dans quelques semaines. Tout ce va-et-vient d’hom- me d’Etat cadre parfaite- ment avec la grande envie qui dévore M. Bennett: pro- clamer des élections. On ne se trompe pas sur tant d’indices. Depuis des semaines Bennett sillonne la province en avion et en train. Dans tel village il laisse la promesse d’un aéro- port municipal; dans tous les villages il se fait photogra- phier avec les nymphes du coin, victorieuses des concours de beauté. I] s’in- quiéte a haute voix de la nécessité de rassurer les investisseurs. sur. l’impossi- bilité qu'il y aurait pour la Grande Horde socialiste de Dave Barrett de revenir bient6t au pouvoir. Bill Bennett n’éprouve au- cun besoin d’imiter les hom- mes politiques qui se bouscu- lent pour jurer de réduire les imp6ts: ceux-la, dirait-on, ne sont que des opportunis- tes terrifiés par le départ précipité de gouvernements “dépensiers” au Manitoba et en Nouvelle-Ecosse. Bill Bennett, sir et suave, vous rappelle (c’était le thé- me de sa campagne en 1975) qu’‘avant la révolte contre les imp6ts il faut organiser la révolte contre les dépenses. Il vous assure que son gou- vernement, face au “déficit énorme” laissé par le NPD cette année-la, réduisit l’aug- mentation annuelle des dé- penses de l’Etat de 27% (Barrett) 4 17% (Bennett). Bien sir le premier minis- tre, trés gentleman, soupire en souhaitant que dans une campagne électorale éven- tuelle on sache éviter “tout ce qui est négatif et per- sonnel”. Mais, en parlant du besoin évident de la Colom- bie de libérer ses échan- ges internationaux, il lache . cette belle pointe pré-électo- rale: ‘Barrett, en cowboy distrait, installe femmes et enfants au milieu d’un cer- cle, les entoure de wagons, puis, au lieu de tirer sur les Indiens, tire sur les femmes et enfants. Y a-t-il une com- pagnie a sauver de la ban- queroute? Barrett a une solution toute faite: le gou- vernement l’achéte.” Tou- ché. Mais dans tous ces indices d’élections, un seul test ré- véle énormément: |’amer- tume que Bennett affiche ouvertement aujourd'hui a l'égard de Pierre Trudeau. Il y a 4 peine un an, alors que Trudeau volait haut dans les sondages d’opinion, la version officielle de la vérité a Victoria —— ver- sion illustrée par des photos bien fraternelles de Bennett et de Trudeau —— disait que Pierre et Bill avaient forgé une gentille petite alliance. La semaine derniére, Ben- nett parlait de Trudeau au. passé, tout comme si le chef libéral national avait déja | perdu et le pouvoir et sa place dans l’histoire. Le gouvernement Tru- deau est un “canard _boi- teux”, disait Bennett de pro- pos tres délibéré. Trudeau, ajoutait-il, “avait l’oecasion de faire beaucoup de gran- des choses. Aujourd’hui no- tre pays est dans une situa- tion ot tous les problémes qui étaient présents quand il est venu au pouvoir (litiges économiques, aliénation poli- tique) sont encore la, mais multipliés par quatre.” Se pourrait-il que Trudeau, comme l’affirmait son biographe George Rad- wanski si délicatement, ne soit que “partiellement épa- | DE QUI CETTE IDEE Entre les conservateurs et les libéraux il est question de'savoir qui a eu l'idée de rétablir la peine de mort. Tout cela serait sans grande valeur si ces deux partis ne parlaient pas aussi de réduire le chémage. J’ose espérer qu'il n’y a entre ces deux idées aucune corrélation et que la peine de mort n’est pas la seule solution au probléme du manque de travail. Les chémeurs, cependant, feraient bien de se méfier, avec les politiciens on ne sait jamais. TREMBLEMENT DE TERRE L’autre jour, j’ai vu ce grand film 4a la télé- vision. Pour ceux d’entre vous qui n’ont pas eu ce plaisir, je vais vous le résumer en quelques tableaux. Donc, au début, un homme se dispute avec sa femme (chose assez normale) mais pour clore la discussion une violente secousse sismique ébranle leur maison (chose peu tormale). Aussit6t le premier tremblement passé, la publicité prend l’écran et Madame Cotonelle nous présente son papier hygié- nique préféré et nous explique pourquoi. Au méme moment, le héros du film décide de tromper sa femme. A l'instant ou il sort de la chambre a coucher de sa mai- tresse la terre tremble de mécontentement. Les immeubles s’effondrent avec fracas. C’est le moment choisi par la publicité pour nous ramener Madame Cotonelle qui nous décrit encore son papier toilette et nous explique combien il est moel- leux. Mais ce tremblement de terre est un effondre-- ment et notre héros décide de sauver des dé- combres sa femme et sa maitresse (pas en méme temps, il faut de la dignité). Armé d’un marteau_ asia ten piqueur pneumatique, il commence 4 défoncer des | murs qui ressemblent a ceux de la Bastille du temps de Louis XVI. La publicité nous raméne Madame Coto- nelle qui nous parle de sa mére et de son papier toilette si utile. Au moment ot le héros traverse le mur, le barrage en fait autant et tous nos personnages ont aussi- tot de l’eau jusqu’au cou. Le grand homme sauve sa maitresse et au moment ou il prend sa femme dans ses bras pour l’empécher d’étre emportée par le torrent fracassant, la publicité nous raméne encore Madame Cotonelle et son célebre papier. Dégoité, notre héros préfére se noyer avec sa femme que d’affronter le papier hygiénique. Alors la maitresse en larmes en haut de la bouche d’égofit s’éponge les yeux avec le rouleau que lui tend Madame Cotonelle. Moralité: Ne vous disputez pas avee votre femme, si vous avez une maitresse restez en banlieue ot les immeubles sont moins hauts, et si, par hasard, vous . Madame ~ lui que faire de son papier. rencontrez Any ae . ‘ Tie! : wi Meret Cotonelle, dites- noui?’. Silence. “Notre pays souffre de s'épanouir. Notre peuple mérite quelque chose de mieux.” D’ores et déja, le premier ministre colombien se met a faire du genou aux conser- vateurs de Joe Clark. Tout cordial, Bennett évoque des réunions qui eurent lieu avec “le caucus de Joe.” Et en parlant de Flora Macdonald, spécialiste en affaires consti- tionnelles de la députation conservatrice, il confie: “ona | réservé a nos gens une réception dont ils sortent optimistes.” Calme, méthodique, mai- tre de lui, Bennett croit flairer le pouvoir 1a ov il est. Qui gagnera le Canada |’an: prochain, lors des élections fédérales? Que ce soit Clark ou Trudeau, il apprendra vite que le pouvoir réside aussi dans cette petite cité pittoresque sur le Pacifique. 66 La Presse” Aimeriez-vous obtenir, chaque jour, le journal “La Presse” de Montréal. C’est possible. Hl. suffit que cent personnes sinscrivent et le service pourra étre créé.. Le journal arrivera a laéruport, chaque jour, en fin de matinée. Si vous étes intéressés, téléphonez ou écrivez au plus vite au “Soleil de Colombie”. ; iy. iil Ripa ne a ak echla ie ei he ROE al RE Re rae ae se oeck. # Fe nee ae eta ti EE Sch RS NMS Bais ee <4 ay = vie ably Mine Fat 8 say Pa As " " ta 4 he Pre