Louvain, Michele Richard, Ginette Reno — traverse les €poques comme on traverse la rue, avec succés, sans trop se soucier de la couleur du temps. Et maintenant Une réorganisation en profondeur axée, au Québec, sur la création d’une. industrie locale et, dans l'ensemble de la francopho- nie canadienne, sur le dynamisme des asso- ciations d’artistes, permettra a la chanson des années 90 de se refaire une santé. Céline Dion et Roch Voisine (Nouveau-Brunswick) portent celle-ci sur la scéne internationale tandis qu’une nouvelle génération emprunte un panorama d’expressions éclatées aussi diverses que le rock, le rap, le blues, la ballade et la chanson a texte pour se faire entendre. Parmi les artistes de cette nou- velle vague, la décennie des années 90 voit se poindre, du Québec, les Jean Leloup, Daniel Bélanger, French B, Rude Luke, Eric Lapointe, Noir Silence, Richard Desjardins, Luce Dufault et Dan Bigras; de |l’Acadie, Marie-Jo Thério, Zéro° Celsius et Denis Richard; de l'Ontario, les groupes Brasse- Camarade, Yvan et les voyous et Kif-Kif; du Manitoba, Marcel Soulodre; de la Saskatchewan, le groupe Hart Rouge et de la Colombie-Britannique, Isabelle Longnus. Et tout porte a croire que ce n’est qu’un début! LA CHANSON DANS LIESPACE FRANCOPHONE L’ESPACE FRANCOPHONE Lorsqu'il est question de chanson, il y a nécessairement un texte. II est donc normal que les auteurs-compositeurs et les interpré- tes présentent tout d’abord leurs créations a un public qui utilise la méme langue qu’eux. C'est ainsi que, dans les années 50, Félix Leclerc s‘est retrouvé a Paris pour inter- préter «Moi mes souliers» ou que, 35 ans plus tard, Daniel Lavoie a connu un succés impressionnant en Europe avec «ils s‘aiment». De la méme facon, les francophones d’Amérique ont fait leur la piéce d’Yves Duteil, «La langue de chez nous». Ces chansons, comme plusieurs autres, ont trouvé alors un écho favorable dans un coin lointain de la francophonie. Or, la francophonie telle qu’on l’entend aujourd'hui, c'est beaucoup plus que la_ France, la Belgique, les francophones de Suisse et du Canada. Il y a plus de 25 ans, les pays qui avaient en commun l’usage du francais ont décidé de se regrouper afin de développer davantage les échanges commerciaux et culturels déja existants. Initialement au nombre de vingt et un, regroupés dans |’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), on compte maintenant presque une cinquantaine de pays ou de gouvernements ayant le frangais en partage. Pour la majorité de ces contrées — sur le continent africain, par exemple — le francais est une langue acquise par la colonisation © francaise qui vient se superposer aux nombreuses langues nationales reconnues sur chaque territoire. Certains pays, comme le Zaire, pratiqueraient jusqu’a 250 langues. La chanson étant une forme d’expression prés des gens, les artistes choisissent, dans la plupart des cas, de s’adresser a leur auditoire dans une langue autre que le francais. Semaine nationale de la Jrancophonie C'est ainsi que la francophonie actuelle consiste en une parenté d’esprit qui, si elle passe par la langue frangaise et la France, comme mére-patrie ou colonisatrice, va bien au-dela de ce seul critére fondateur. L’EUROPE Il va de soi que la France occupe un réle de premier plan dans la francophonie. Par son rayonnement dans le monde et par sa pré- sence culturelle et économique, I’‘Hexagone a semé a tous vents la chanson de ses artisans. Avant l’explosion d’une chanson locale au Québec, la radio canadienne s'est longtemps fait le haut-parleur de la chanson frangaise... comme de la chanson américaine. Dans bien des pays du Sud, les Centres culturels francais ont aussi permis aux citoyens sous ces latitudes de cétoyer la fine fleur de l’expression chantée du colonisateur. Le pouvoir d’attraction de la France a méme eu des effets sur ses voisins. Le Belge Jacques Brel est identifié presque autant a la chanson belge qu’a la frangaise. Prét-a-penser ou prét-a-danser ll est impossible de faire un survol sérieux de toute la chanson européenne sans en masquer des pans entiers. Retenons tout de méme que cette création chantée a été marquée par la prépondérance du texte. Les Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferré, Charles Aznavour ou Charles Trenet ont certainement été des architectes de premier plan de cet édifice, étiqueté comme de la bonne vieille chanson frangaise. A partir de ce moment, le ton était donné et la barre placée haute. Désormais, les paroles constituent un critére important quand vient le temps d’évaluer un titre. Cela est devenu méme un trait de la franco- phonie, dans la mesure ow il s‘agit la d’un critére beaucoup moins soulevé pour les: rengaines anglophones, espagnoles ou portugaises. Malgré sa force certaine, la chanson a texte a connu ses tremblements de terre. Car en Europe comme partout dans le monde, les années 60 et les années 80 ont vu la jeunesse, consommatrice de musique popu- laire, favoriser une chanson a danser plut6t qu'une chanson a penser. Il en résultera un mouvement de balancier entre ces deux tendances. Qualifiées de yé-yé, les années 60 ont mis sur la sellette les Jacques Dutronc, Francoise Hardy, France Gall, Adamo, Claude Francois, Eddy Mitchell et Johnny Hallyday. Inspiré par la mythique Amérique, ce dernier demeure I’une des vedettes de la chanson francaise autant pour ses performances scéniques que pour le souvenir qu’il a laissé dans le coeur des adolescents francais. D’ailleurs, ces représentants d’une mode moins littéraire — classifiée de «variétés» — ont tenu la route au point ot I'intelligentsia traite d’eux maintenant a part entiére. Mais cela aura pris une vingtaine d’années avant qu'il en soit ainsi. La machine (radio, télévision et magazine) soutenant ces nouveaux visages, jeunes et beaux, était tellement forte qu'il restait peu de place pour les autres. Certains ont di se mettre en quarantaine, alors que d’autres comme Claude Nougaro, Barbara ou Jean Ferrat ont réussi a «surfer» sur la vague yé-yé presque sans mal. Quant a Serge Gainsbourg, il aura incarné dans sa vie artis- tique les deux volets. Auteur de petits bijoux d’écriture, celui qui a fréquenté les cabarets de la Rive gauche a la fin des années 50 aura laissé par la suite plus de place a la musique et a ses rythmiques contemporaines (comme le reggae ou le funk). Le grand méchant rap Comme toute vague connait son creux, les années 70 ont vu se profiler un courant présenté comme la «nouvelle chanson francaise». Il s‘agissait de musiciens et de chanteurs ayant grandi en partie sur les musiques «swingnantes» de la musique pop ou du blues ainsi qu’avec les grands textes des références de la chanson francaise que sont Brassens, Brel et Ferré. Comme Nougaro, les Alain Souchon, Michel Jonasz, Jacques Higelin, Véronique Sanson ou Charlélie Couture savaient faire sonner les mots tout en faisant de leurs créations des petits films. Plus tard, les Francis Cabrel, Alain Bashung et Jean-Jacques Goldman prendront le méme chemin, celui d’une chanson de qualité qui connait du succés. Dans tous ces cas, la musique moins appuyée dans la chanson francaise tradi- tionnelle prendra de la vigueur. La chanson francaise sera tantot rock, funk, jazz, punk, musette, rap ou tout simplement inclassifiable comme les sonorités festives des groupes tels les Rita Mitsouko ou les Négresses vertes qui comptent beaucoup d'héritiers sur la scene musicale francaise. Mais le mouvement récent qui a ratissé le plus large est le rap. Comme si la jeunesse des banlieues mal nanties avait-voulu prendre la parole dans un cri musical qui a revalorisé les textes. En ce sens, la poésie d'un Mc Solaar ou les revendications de ses collegues rappeurs (IAM, Alliance Ethnik, Meénélik, Sens Unik) ne doivent pas étre vues comme un ersatz de I'équivalent.américain. Ce genre musical a redonné des dents a une chanson considérée trop souvent inoffen- sive. A preuve, les membres du groupe NTM ont été condamnés en novembre 1996 a trois mois de prison fermes et a six mois d'interdiction d’exercer leur métier en France pour outrage, a la suite de propos injurieux envers les forces policiéres a l’occasion d’un spectacle. Cela ne s‘était pas vu depuis 1821 alors que le chansonnier Pierre-Jean Béranger avait été reconnu coupable pour «offense a la personne du roi». L’'AFRIQUE L'Afrique est un continent immense dont le découpage en différentes nations n‘a pas réussi a tenir compte de tous les peuples se cétoyant depuis des centaines d’années. Les anciennes colonies devenues pays portent encore les traces des Européens qui sont passés ou qui sont encore la. «Certains pays africains ont été colonisés par les Francais, d’autres par les Anglais, explique le chan- teur sénégalais, Ismaél L6. Si je vais en Céte- d'Ivoire, je ne suis pas obligé de parler ivoirien, je parle le francais et on me comprend. Si je vais au Mali et que je ne parle pas le bambara, je parle le francais et on me comprend. C’est la seule langue universelle que l’on peut utiliser. Néanmoins, tout un chacun est fier de chanter dans sa propre langue. C'est elle qu’il ressent le mieux pour chanter»'. ‘Extrait de Rythmes, vol.1, n° 4, 4° trimestre 1993. Gite By ie Association canadienne d €ducation de langue francaise Attention a la bibliothéque qui brile Avec tous leurs problémes économiques, sociaux et politiques, il y en a — parmi les Africains — qui avancent que la plus grande richesse des pays du Sud est probablement leur culture. D’ailleurs, longtemps les échos de la musique africaine nous sont parvenus grace a des musicologues qui, parrainés par I'Unesco, voulaient mettre en boite cette culture traditionnelle avant qu’elle ne se transforme. Cela nous rappelle la phrase si souvent évoquée du poéte malien, Amadou Hampaté Ba : «Un griot qui meurt, c'est une bibliothéque qui bridle». Le griot était la mémoire d’un peuple, puisqu’il racontait l'histoire des grandes dynasties. Sa voix aigué portait au-dessus de l’assemblée et des instruments qui l’accompagnaient. Si la scene musicale était trés active sur le continent, elle rayonnait moins a |’extérieur étant donné le peu de structures de diffu- sion existantes. Puis, il y a eu le reggae, cette musique populaire de la Jamaique, qui a explosé sur toute la planéte au milieu des années 70. A partir de ce moment, tous les espoirs sont devenus permis pour les musiques méconnues. Chacun leur tour, Mory Kanté (Guinée), Salif Keita (Mali), Toure Kunda (Sénégal) ont cru que le monde entier serait attentif a leurs rythmes dansants. Si tel est le cas, cela n’a pas été le pactole anticipé. Tous ces musiciens puisant 4 méme la tradi- tion africaine ont quand méme ajouté des guitares électriques a leur kora et des batte- ries a leurs tambours. IIs donneront le ton a toute une génération: d’artistes africains modernes. Aujourd'hui, les jeunes Sénéga- lais du groupe Positive Black Soul, avec leur rap en wolof, prétendent reprendre le réle du griot sur des rythmes 4 la fois africains, a la fois occidentaux. Je marche seul Au cours des années 80, des musiciens- occidentaux 4a |’esprit ouvert ont été attirés par ces sonorités exotiques. Ils en sont devenus les parrains. Paul Simon a mis en lumiére les musiques de l’Afrique du Sud, alors que Peter Gabriel a offert sa tribune, entre autres, au Sénégalais Youssou N‘Dour. De la méme facon, quand le rai, originaire de la région d’Oran en Algérie, a pris son envol, de nombreux artistes. francais (Rita Mitsouko, Jacques Higelin) ont annoncé qu’ils incorporaient cette musique a leur prochain enregistrement. Il n’en fut rien. Cela n‘a pas empéché cette musique de passer a travers toutes les guerres du Golfe et de continuer son petit bonhomme de chemin avec des vedettes comme Khaled ou Cheb Mami. En fait, les musiciens africains ont de moins en moins besoin de faire appel a un parrain. Peu a peu, ils s‘organisent. Youssou N’Dour a son propre studio a Dakar et il soutient des artistes africains méconnus. Cette prise en charge artistique est probablement un présage de celle que tout le monde espére pour les Africains et leur continent. LES CARAIBES Premiére station du Nouveau-Monde ou accoste Christophe Colomb, I’archipel des Caraibes est vite repeuplé par les esclaves noirs transplantés d‘Afrique. || devient ainsi le creuset par excellence de tous les métissa- ges. Longtemps avant le reggae et la salsa, le mambo afro-cubain et le calypso 7 Francophonie