Tragédie d’un soir d’été Ceci est une lettre ouverte aux parents de tous les jeunes du monde entier. Je réponds ic] 4 certaines des questions que vous me posez tous les jours. Je ne suis pas simplement un agent de police; je représente tous les agents de chaque ville et de chaque muncipalité du Canada. *Caporal Dale Martel Collaboration spéciale Il se peut que vous me connaissiez seulement comme le policier qui vous adonné un billet |’été dernier, mais je suis aussi le gars qui habite la rue pres de chez-vous. J’ ai trois enfants et je partage pour eux lesmémes espoirs, les mémes ambitions et les mémes réves que vous avez pour les votres. Je dois faire face aux mémes problemes que vous. Je partage également avec vous ces moments d’agonie et d’extase. Je connais aussi ce sentiment de honte, de culpabilité et de désappointement lorsque mon gar¢on ou ma fille s’attire des ennuis. Je suis aussi faché et j'ai la mort dans |’dme d’essayer de faire mon travail et d’étre connu comme le mauvais gars, lorsque la seule chose que j’aie jamais voulue est d’éviter le genre de tragédie dont j’ai été témoin. La tragédie a eu lieu sur un long bout de grande route avec une courbe raide 4 la fin. Il avait plu et la chaussée était glissante. Une voiture qui circulait 4 plus de 128 km/h a manqué la courbe, traversé la banquette de la route et frappé un arbre. A ce moment, deux des trois passagers ont été projetés en dehors de la voiture, un sur |’ arbre, |’ autre sur laroute ou la voiture est retombée, |’écrasant comme une simple cigarette jetée sur |’asphalte. Il a été tué instantanément. [] a eu de la chance. Lajeunefille, elle, aété projetée sur |’ arbre, et a eu le cou brisé. Bien qu’elle ait été élue reine du bal des finissantes et qu'elle avait de fortes chances de réussir dans la vie, elle va maintenant passer les 60 prochaines années dans un fauteuil roulant. Incapable de faire autre chose, elle va vivre et revivre ce terrible moment nombre de fois encore. Quand je suis arrivé, la voiture s’était arrétée, renversée, reposant sur le toit, et les roues brisées avaient cessé de rouler. De la fumée et de la vapeur s’échappaient du moteur, séparé de son support par une force ternble. Un calme sinistre régnait sur la scéne qui paraissait déserte a part un voyageur soli- taire qui nous avait appelés sur les lieux. II s’était senti mal et s’était appuyé sur sa voiture. Le conducteur était en vie, mais en état de choc. I] ne pouvait se libérer et sortir de sous la colonne de direction qui était tordue et de travers. Son visage sera pour toujours marqué des cicatrices des coupures profondes laissées par le verre brisé et le métal déchiqueté. Ces blessures guériront mais le bistour: d’un chirurgien ne peut toucher celles de |’inténeur. Le troisiéme passager avait presque cessé de saigner. Le siege et ses vétements étaient couverts du sang jaillissant d’une coupure d’une artére de son bras faite par l’os brisé qui sortait de son avant-bras, juste au-dessous du coude. II suffoquait en essayant désespérément d’aspirer de |’air au-dela de ses voies respiratoires remplies de sang. Il ne pouvait parler, et ses yeux, exorbités et fixés sur moi d’un air suppliant, étaient le seul moyen qu’ il avait pourmecommuniquer sa frayeur et demander de |’ aide. Je me suis senti coupable et me suis souvenu de lui avoir donné un simple avertissement |’ autre soir, apres avoir trouvé dans sa voiture une bouteille d’alcool ouverte. Peut-étre que si je l’avais cité a ce moment, il serait encore en vie maintenant. Qui sait? Pas moi en tous cas. Il est mort sans un bruit dans mes bras, ses yeux bleu pale fixant le vide comme s’il essayait de lire dans le futur qu’il ne connaitrait jamais. Je me suis souvenu |’a- voir déja vu jouer au ballon-panier et je me suis aussi demandé ce qu’il adviendrait de la bourse d’études dont il ne se servirait jamais. Puis j’ai entendu des cris pergants et je me suisrendu compte que c’était la jeune fille qui avait été projetée de la voiture qui criait ainsi. J’ai couru vers elle avec une cou- verture, mais j’avais peur de la bouger car sa téte était inclinée de fagon exagérée. Elle ne semblait pas se rendre compte de ma pré- sence et gémissait comme un petit enfant apres sa mere. Au loin, j’entendais le hurlement funéble de l’ambulance faisant son chemin dans la nuit pluvieuse. J’étais accablé d’un chagrin incroyable devant le gaspillage d’une res- source aussi valable: notre jeunesse. Les ambulanciers ont commencé 4a nettoyer et 4 transporter les morts et les blessés. Je suis resté la a regarder, et mes larmes se mélaient 4 la pluie et me retombaient sur les joues. -8- Vous me demandez pourquoi une telle chose est arrivée? C’est arrivé parce qu’un jeune ew complétement ivre,7 NO croyait qu’il pouvait manoeuvrer deux tonnes d’un engin mortel 4 une allure de 128 km/h. C’est aussi arrivé parce qu’un adulte, pour étre «bon gars», a acheté pour un mineur une caisse de biére et la lui a ensuite vendue. C’est aussi arrivé parce que vous, en tant que parents, ne vous préoccupez pas assez de vos enfants pour savoir ou ils sonts, ce qu ils font. Que vous étes indifférents en ce qui concerne les mineurs et |’abus d’alcool, et préférez plutdt me blamer de les harceler, alors que je cherchais simplement a éviter ce genre de tragédie. C’est arrivé également parce que, comme disent les gens, on croit toujours que ce genre de chose n’arrive qu’aux autres. Je deviens malade de rage et de frustra- tion quand je pense aux parents et aux lead- ers qui croient qu’un peu d’alcool ne fait aucun mal. Je ne ressens que du mépris pour ceux qui proposent d’abaisser |’4ge ot |’on peut commencer a boire, parce que les jeunes vont en consommer de toute facon, alors pourquoi ne pas rendre la pratique légale. Je suis frustré par les lois, les jugements de la cour et autres menées judiciaires qui restrelgnentmon autorité 4 exercer mon meétier relativement 4 la prévention de ce genre de tragédie. Je donnerais n’importe quoi pour savoir qui a donné cet alcool 4 ces jeunes gens. J°ai passé plusieurs heures a rédiger les rapports et il me faudra plusieurs mois avant d’effacer de ma mémoire les détails de cette nuit. Je ne serail pas le seul cependant; le conducteur de la voiture guérira et passera, lui, le reste de ses jours 4 essayer d’oublier. Oui, je suis trés faché, et je prie Dieu de n’ avoir jamais encore a faire face a un autre parent dans le milieu de la nuit pour lui dire que sa fille Suzanne ou son fils Bill vient d’étre tué dans un accident de voiture. Pour votre bien, j’espere que ¢a ne vous arrivera pas 4 vous non plus. Mais si vous continuez a considéerer l’abus d’alcool comme faisant partie de la croissance, alors gardez la lumiere allumée 4 votre porte parce qu’ une certaine nuit froide et pluvieuse, vous me trouverez au seuil de votre porte, les yeux baissés, venu délivrer un message de mort. Ce texte, écrit par le caporal Martel, lorsqu’ilétait chef du département de Field, ad’ abord été publié dans The Golden Star, a Golden (C.-B.). Haété depuis publié dans un grand nombre de journaux dans tout le Canada.