inc A4 - Le Soleil, mars 1994 Le Soleil, mars 1994- AS = |Pourquoi de telles expéditions? Plusieurs raisons favorisaient les voyages de découvertes des Espagnols. A l'époque, on croyait a I'existence d'un + «passage du nord-ouest» et on souhai- ' tait en contrdler I'entrée sur la céte du Pacifique. On voulait promouvoirle chris- tianisme dans le monde. On tenait a établir des ports de mer adéquats pour accueillir les bateaux en provenance de Manille, aux Philippines. De plus, l'ex- pansion du territoire russe était une im- portante source de préoccupations pour les Espagnols, car ceux-ci cherchaient a conquérir le plus de territoire possible. Or, plus les années passaient, plus les Russes avangaient. Dés 1773, les Espa- gnols étaient au courant du fait que les Russes avaient construit un campement aux Tiles Aléoutiennes (prés de I'Alaska). A la conquéte de nouvelles terres Depuis la découverte, en 1741, par Vitus Béring, du détroit qui porte son nom, plusieurs expéditions russes ont eu lieu et des campements ont été cons- fm truits en Alaska. C'est que le commerce des fourrures rapportait beaucoup! Lors- que I'Espagne entendit parler du com- merce fort lucratif de fourrures dont ies Russes profitaient dans la partie nord- ouest de I'Amérique du Nord, elle décida d'entrer en compétition avec la Russie. C'est ainsi que, vers 1760, San Blas (une ville surla cOte ouest du Mexique) devint une base navale qui servit de point de fm départ a plusieurs expéditions espagno- les, tant vers la Califomie que vers la @ future Colombie-Britannique et I'Alaska. i En 1769 et 1770, les Espagnols se rendi- i@ rent a la hauteur de Monterey, de San : Diego et de San Francisco. L'expédition du Santiago En 1773, un message, en provenance de Madrid, parvint au vice-roi Antonio Bucareli, a Mexico. On: I'y :informait de l'avance des Russes le long de la céte nord-ouest et on lui recommandait de préparer une expédition vers le Nord. Le vice-roi Bucareli choisit Juan Perez pour faire ce voyage. Le 24 janvier 1774, a San Bias, Perez et les membres de son 6quipage levaient l'ancre du Santiago, une belle frégate. On avait ordonné a Juan Perez de se rendre jusqu'a 60° de latitude Nord (& peu prés a [a frontiére sud de I'Alaska) et de prendre: posses- sion, aunom de I'Espagne, de toutes les régions qu'il visiterait. Aprés des escales & San Diego et a Monterey, le Santiago jeta l'ancre prés de I'archipel de la reine Charlotte. Des Amérindiens, les Haida, S'approchérent en canots pour faire des échanges avec les marins. Aucun marin ne descendit a terre, les Espagnols ne prirent donc pas possession de ce teni- toire avant de-s'en retoumer vers le Sud quelques jours plus tard. Naviguant loin des terres, les Espagnols apercurent la céte ouest de I'ile de Vancouver sans que personne ne réalise que c'était une ile. Le 8 aoat, Perez et son équipage accostaient a Yuquot, que Perez baptisa Santa Cruzde Nutca (Nootka). La eurent lieu des échanges avec le peuple amérindien Mowachaht. Comme les marins commengaient a souffrir sérieu- sement du scorbut (maiadie causée par une déficience de vitamine C), il fut décidé de repartir pour San Blas. Perez ne prit possession d'aucun territoire qu'il visita au nom de I'Espagne et ne se rendit pas a 60° de latitude Nord. Toute- fois, l'expédition fut considérée comme étant un succés et le vice-roij Bucareli a . quelques-uns de ses hommes prirent Amérindiens et Espagnols Les relations entre les Amérindiens et les Espagnols paraissaient, en géné- ral, plut6t pacifiques. On avait recom- mandé aux Espagnols de bien traiterles Amérindiens et d'apprendre a connaitre leur mode de vie. En établissant de bon- nes relations, la confiance régnerait et, advenantle cas ot les Espagnols revien- nent les voir, on espérait que les Amérindiens les accueillent bien. Toute- fois, tout n'allait pas toujours pour le mieux. Le 9 juillet 1775, le Santiago et le Sonora accostérent présde Cape Flattery. Le 14 juillet, le commandant Quadra et Arteaga et Quadra: l"expédition de 1779 Nord. possession des terres au nom de |'Espa- gne. Unpeuplustard, unchefamérindien des environs et sa femme montérent a bord du Sonora et y recurent des pré- sents. Mais, lorsque sept marins se ren- dirent surlaterre ferme, ils furent massa- crés, Larevanche des Espagnols fut non moins sanglante: ils abattirent neuf Amérindiens a coup de fusil, au moment ou ceux-ci s'approchaient de la goélette encanot. Le Santiago et le Sonora, aprés ces incidents graves, quittérent rapide- ment les lieux pour poursuivre leur voyage. Juan Francisco de la Bodega y Quadra continue seul Le scorbut commengant a faire des victimes parmi les membres de I'équipage et les vents étant contraires a la direction souhaitée, certains proposérent de retoumner au Mexique. Pour le commandant Quadra, cela était hors de question. Vers le 24 juillet, une tempéte frappa les navires de plein fouet, et les deux navires furent séparés. Parla suite, Quadra, a bord du Sonora, décida de poursuivre son voyage vers le Nord. Quant a Hezeta, il jugea bon de retourer, avec le Santiago, vers le Mexique. Poursuivant donc seul son voyage vers le Nord, I'équipage du Sonora apercut la terre le 15 aodt, a 57°de latitude Nord. Le Santiago jeta l'ancre un peu plus loin, a la baie de Kalalina, que Quadra avait alors baptisée Los Remedios. On y fit des provisions d'eau et de nourriture, tout en faisant prudemment quelques échanges avec les Amérindiens. On prit également possession du territoire au nom de Je Espagne avant de repartir. Le 22 aod, le Sonora était 4 58° de latitude Nord, et le capitaine Quadra décida de rentrer au bercail. Plusieurs marins étaient trés malades et le froid était terrible; son équipage ne pouvait aller plus loin. Au début d'octobre, le Sonora arriva a Monterey, ou le Santiago l'attendait. Une fois remis du scorbut, les deux équipages reprirent la mer pour arriver 4 San Blas le 20 novembre 1775. | | l | | 60— 50— La rose des vents avec les points et les degrés. Le départ du Santiago et du Sonora C'est le 16 mars 1775 que la frégate | Santiago et la goélette Sonora levérent i l'ancre a San Blas. Bruno Hezeta et Juan Francisco de la Bodega y Quadra, com- mandant chacun un bateau, avaient regu + des ordres similaires a ceux de l'expédi- h tion de Perez: il leur fallait prendre possession des territoires visités au nom - de I'Espagne et se rendre jusqu'a 65° de latitude Nord. Naviguant face au vent, la montée vers le Nord fut lente et difficile. Peu aprés le 21 mai, les deux bateaux jetérent l'ancre a Puerta de la Trinidad, a = la frontiére dela Califomie etde I'Orégon, pour réparer des bris au Sonora. Les marins en profitérent pour commercer d'Espagne. décida d'en organiser une autre. be om f} avec les Amérindiens. Le 11 juin, de Ke prétres, ainsi que des membres de |'équi- page, érigérent une croix prés de la plage, aprés avoir récité quelques prié- res, sous le regard étonné des Amérindiens présents. C’'était la céré- monie de prise de possession du terri- toire aunom del'Espagne, cérémonie au cours de laquelle on enterrait, dans une bouteille scellée, des documents attes- tant l'appartenance de ces terres au roi 140 130 SS ] 04:14 (Mexicana & ¥ dismasted) Longitude ouest du premier méridien 40— Latitude nord 30— 120 110 "PON 2] SUEP OUEI[ES 32 EApENdH ep seGefon Le 11 février 1779, le commandant suite, au début du mois d'aoat, retourner Ignacio Arteaga, ainsi que le comman- au Mexique, sans avoir atteint 70° de dant Quadra, quittaient San Blas, avec latitude Nord. Cette distance leur sem- pour mission d'atteindre 70°de latitude blait impossible a franchir avant que Les frégates La Favorita et I'hiver arrive. Princesa montérent rapidement vers le demiére pouruntemps, carle roi d'Espa- Nord. LesEspagnolsserendirenta Prince gne, au mois de mai 1780, suspendit - William Sound et a Cook Inlet pour en- toutes les missions. Cette expédition fut la Quand le chat n'est pas Ia... Lorsque furent publiés, en 1784, les récits de voyage du capitaine James Cook, les Espagnols recommenceérent a S'inquiéter. Ils apprirent beaucoup sur ‘les allées et venues des Russes en Alaska, puisque Cook y avait passé un Certain temps en 1778. Aux yeux des —Espagnols, il était clair que les Russes ’ S'aventuraient beaucoup trop loin sur un territoire qu'ils voulaient pour eux seuls. Il fallait faire quelque chose et, en 1787, _ il fut décidé par I'Espagne que des expé- - ditions seraient organisées afin de ren- Contrer les Russes ou, a tout le moins, afin d'accumuler de l'information a leur Sujet, histoire de connaitre leurs inten- _ tions quant a l'exploitation de ce vaste territoire. Les problémes commencent En 1789, les Espagnols étaient préts as'établir définitivement a Nootka, dans le but, principalement, de freiner l'expansionnisme russe. Or, les Russes _ nesontjamais venus s'installer a Nootka. Par contre, les Anglais s'intéressaient beaucoup a ce coin du monde, que le Capitaine Cook avait visité en 1778. Les Anglais considéraient qu'un territoire appartenait a celui qui I'habitait, et non Pas a celui qui disait l'avoir découvert, comme |'affirmaient les Espagnols. Lors- que, en mai 1789, Martinez et Lopez de Haro, a nouveau a bord du Princesa et du San Carlos, accostérent a Nootka, Anglais et Américains étaient déja sur place, ou faisaient la traite des fourrures dans les environs: Martinez et Lopez de Haro C'est donc le 8 mars, 1788, que le Princesa et le San Carlos, sous le comman- dement de Esteban Josef Martinez et de Gonzales Lopez de Haro, prirent le large et se dirigérent directement vers |'Alaska. Les Espagnols y ont rapidement découvert des signes d'occupation. Ils ont trouvé une cabane abandonnée, et plus tard, des Amérindiens leur ont remis deux documents: I'un était rédigé en russe et datait de 1784, l'autre était rédigé en anglais et datait de 1787. Le jer juillet, le San Carlos accostait dans la colonie russe de la baie des Trois Saints, ot ils apprirent que la Russie prévoyait occuper Nootka, sur I'ile de Vancouver, en 1789. La méme chose fut confirmée a Martinez et Lopez de Haro lors de leur passage auxiles Aléoutiennes. Le gouvemeur Zaikof expliqua aux Espagnols que le but des Russes était de devancer les Anglais qui, semble-t-il, faisaient des affaires d'or, dans la région de Nootka, en faisant la traite des fourrures avec les Amérindiens. Apprenant cela, Martinez et Lopez de Haro se dépéchérent de retoumer a San Blas. Une fois arrivé, Martinez écrivit.au nouveau vice-roi pour le mettre au courant de [intention des Russes d'occuper Nootka. Martinez souhaitait que les Espagnols devancent les Russes et qu'ils s'installent sans délai, et de fagon permanente, a Nootka. Le vice- roi Flores lui ordonna, peu aprés, d'aller 4 Nootka, afin de contrer tant les Russes que les Anglais et les Américains, qui naviguaient constamment dans les eaux «espagno- les», et Ce avec un sans-géne qui frisait l'affront.. Martinez aurait a faire valoir aux commandants des navires étrangers qu'ils se trouvaient en territoire espagnol a Nootka, dont Juan Perez, on se souvient, s'était approché lors de son expédition de 1774. stevan Jose Martinez, Fernando Martinez d La crise de Nootka Une fois arrivés a Nootka, les Espa- gnols construisirent les forts San Miguel et San Michael. Ils maintinrent des rela- tions amicales avecles Américains et les Anglais pendant un certain temps, mais les choses se gatérent rapidement. Le commandant Martinez fit comprendre clairement aux Anglais et aux Améri- cains qu'ils se trouvaient sur les terres et les eaux du roi d'Espagne. II alla méme jusqu'a arréter l'équipage de plusieurs bateaux, en guise de représailles. Le 24 juin, on procéda a la cérémonie de prise En route pour San Blas : a )_ 3 | bes découvreurs espagnols dans le nord-ouest du Pacifique (1774 a 1792) oe? | ) Galiano et Valdés Galiano et Valdés voulaient explorer | le détroit Juan de Fuca et aller au-dela de BB celui-ci. L'équipage de Vancouveret celui , 1 des Espagnols firent leurs découvertes ( séparément, maisils mirent ensuite leurs ' informations en commun, ensigned'ami- ii tié. C'est ainsi que la céte de ce qui allait q 4 devenir la Colombie-Britannique fut ré- pertoriée et c'est ainsi que I'on réalisa enfin que Nootka n'était pas sur le conti- ‘nent, mais bel et bien sur une ile. de possession formelle de Nootka au nom de I'Espagne, sans apparente pro- testation des autres nationalités présen- tes. Au début de juillet, le navire britan- nique Argonaut, avecle capitaine Colnett a son bord, accostait a Nootka. II avait recu l'ordre d'y construire un établisse- ment permanent. La situation allait de- venir problématique. Martinez arréta Colnett et son équipage, et s'empara de l'Argonaut. Le 12 juillet, il fit de méme avec le Princess Royal. Le 13 juillet, 'Argonaut, dirigé par des Espagnols, et transportant le capitaine La Convention de Nootka Pendant qu'a Londres et a Madrid, on ¥, se demandait quoi faire 4 propos de Nootka, le nouveau vice-roi, 4 San Blas, ‘voyant que la crise était grave, ne lésina pas. Il n'attendit pas les ordres de Madrid pourrelacher les prisonniers que Martinez avait ramenés de Nootka. L'équipage du Fair American et de I'Argonaut furent @ libérés. Le 28 octobre 1790, Londres et Madrid signérent la Convention deW Nootka, dans laquelle étaient inscrits les droits de chacune de ces nations sur la céte nord-ouest de I'Amérique du Nord. Désormais, tous et chacun pourraient faire le commerce des fourrures avec les Amérindiens, et Nootka, quoique tou- jours sous le contréle de I'Espagne, se- = rait accessible a tous. Le vaste empire espagnol se désagrégeait lentement, mais sdrement. Le capitaine Georges Vancouver fut choisi par Londres pour faire une expédition a Nootka, afin d'y rencontrer les Espagnols. Il eut égale- ment pour mission de tracer une carte de ff la céte nord du Pacifique, ce qu'il fit de fagon trés précise. Pendant son voyage, il rencontra ce qui s'avéra étre la der- niére expédition: espagnole au nord du Pacifique. C'était I'expédition de Dionisio Alcala Galiano, a bord du Sutil, et de Cayetano Valdés, 4 bord du Mexicana. )\\) La rencontre de Vancouver et Quadra Georges Vancouver se rendit donc a Nootka afin de régler définitivement le différend opposant les Anglais et les Espagnols. II eut a traiter avec I'ancien Capitaine de bateau, devenu comman- Cayetano Valdés Colnett et ses hommes; tous faits prisonniers, prenait la mer pour retoumer a San Blas, oi les prisonniers devaient étre jugés. Vers la fin du mois, le méme voyage fut entrepris par Narvaez, sur le Princess Royal, avec d'autres prisonniers. Le San Carlos, dirigé par Lopez de Haro, retouma également a San Blas. Pendant ce temps, a Nootka, le commandant Martinez fit construire le fort San Rafael. Les Américains continuaient a faire le commerce des fourtures, sans &tre trop ennuyés par Martinez, qui n‘avait plus ni ressources ni hommes nécessaires pour les arréter. Le 29 juillet, le bateau espagnol Aranzazu jetait l'ancre a Nootka, et quelle ne fut pas la surprise de Martinez lorsqu'il apprit qu'il avait ordre de quitter Nootka, avec tous les Espagnols, a la fin de I'été ! Il semble que I'Espagne ait considéré Nootka comme étant, hors de tout doute, une de ses possessions et que, puisque toutes les nations le savaient, iln'était plus nécessaire d'y rester. Martinez n‘en revenait pas. II était bien placé pour savoir que Ia situation était loin d'étre aussi simple. Quoi qu'il en fut, les ordres étaient les ordres et Martinez quitta Nootka en direction de San Blas a la fin du mois d'octobre, a bord du Princesa. II fut suivi du Santa Gertrudis la Magna et du Fair American, deux bateaux dont il s'était emparé. La crise de Nootka opposa vivement Londres a Madrid. Londres exigeait que I'Espagne relache ses hommes et leurs navires et qu'elle leur offre une compensation, tandis que I'Espagne considérait n'avoir fait que défendre son territoire. La tension entre les deux pays risquait de dégénérer en une guerre. En février 1790, les Espagnols retoumnérent occuper Nootka. C'est le capitaine Francisco Eliza, 4 bord du Princesa Real qui fut chargé de cette mission. Hii dant de San Blas: Juan Francisco de la | Bodega y Quadra. Les deux hommes se liérent d'amitié et, voyant que leurs né- gociations étaient dans l'impasse, ils [ décidérent d'en appeler chacun a leur §, pays. Afin de commémorer leur rencon- = tre, Vancouver, qui Savait, pour en avoir # ’ fait le tour, que Nootka se trouvait sur#, une ile, nomma celle-ci I'ile Quadra et Vancouver. En mai 1793, I'Angleterre et I'Espagne s'alliérent, suite a leur craintes # communes vis-a-vis de la France révo- lutionnaire: II fut éventuellement décidé ® | par I'Espagne qu'elle se retirerait de Nootka. C'est au mois de mars 1795% qu'un commissaire britannique et un com-|) missaire espagnol se rencontrérent, a= Nootka, pour la cérémonie de prise de l possession du territoire par I'Angleterre. jj} Ainsi s'achevait la grande époque des = conquétes espagnoles. Une nouvelle ére s'annongait pourla région qui allait deve- = nir la Colombie-Britannique.