Le Moustique Le jeune homme donne |’impression d’étre fort bien organisé : il a du matériel et des réactions de varappeur. Et de plus, il fait des nceuds compliqués sans avoir l’air d’y préter attention. Je suis trés impressionné et, les yeux écarquillés, je le regarde faire des nceuds de bouline et d’agui, des demi- clefs et des laguis, des nceuds de capelage et de jambe de chien avec une dextérité de magicien. S’il ficelle de la sorte son épouse et qu’ensuite il disparait, nous ne serons jamais capables de la libérer. Au moins, nous n’aurions aucune pene a l’empaqueter pour le transport. Ce garcon me fait une forte impression. I] est vrai que dans mon éducation, il existe une lacune terrible que je ne suis jamais parvenu a corriger. Bien sir, comme tout le monde, j’ai été louveteau. J’avais uniforme, le chapeau et la gourde. Je n’avais peut-étre pas Venthousiasme. J’ai rapidement découvert que seul le cuisinier ne quittait pas le camp. Il échappait ainsi a toutes les corvées et principalement celle des jeux de piste ou mes malheureux compagnons disparaissaient pour des heures dans les foréts les plus impénétrables pour ne refaire surface, s’ils n’étaient point perdus, que vermoulus, épuisés, écorchés, dégotités. J’ai donc fait valoir des qualités de maitre queux qui m’ont fait parvenir tres rapidement a un_ poste’ de responsabilité. Poste qui m‘a également permis d’empoisonner assez sérieusement la totalité de la meute et m’a obligé de quitter le scoutisme quelques jours a peine avant les premiers cours sur la maniére de faire les noeuds. Plus tard, parce qu’alors tout le monde en faisait, j’ai pratiqué un peu la spéléologie et la montagne. Cependant, méme dans les situations les plus scabreuses, les escalades artificielles, ISSN 1496-8304 Volume 4 - 5° édition Mai 2001 les inversions de corniche, les rappels au fond des gouffres, j’ai toujours su trouver un partenaire charitable pour m/’aider a faire mes neeuds. Je dois sans doute appartenir a la race des grands conquérants car moi, les je ne peux que les trancher. Notre progression est extrémement lente. On s’agrippe désespérément au rocher pour ne pas glisser pendant que, sous nos pieds, les vagues rugissent et inondent la comiche. Le guide est passé déja et nous attend sur l’autre rebord. Le couple est prés du rocher et s’appréte a le franchir. Ma fille avance avec précaution pendant que, fermant la marche, je descends sur la banquette et passerai bientot les sacs quand |’équipe sera sauve. Une vague plus haute et plus furieuse s’engouffre soudain dans le chenal, nous inondant d’écume et roulant avec force sur la banquette. Fauchée par le courant, ma fille est chassée sur le terrain glissant et va disparaitre dans les flots quand le jeune époux plonge sur le replat et la rattrape avant de toucher l’eau. Il est blessé au genou. Le sang se méle a la mousse saumatre qui recouvre les algues et est lavé aux nouvelles vagues qui se suivent lancinantes. Ce gargon est décidément un type bien. Il n’y a pas que dans les nceuds qu’il excelle. Suite dans le prochain Moustique Page 11 neeuds,