“eee sli payee é Lidentité culturelle des Acadiens — Antonine MAILLET Cette parole, ou ce monde a exprimer, il n’a pas besoin d’étre grand. Tout artiste croit que la vie est aussi vie dans un tout petit morceau de vie que dans un gros. Le petit et le grand en littérature, ca n’a pas tellement d'importance. Car le temps est aussi temps et aussi condensé dans une seconde que dans une heure. Pas seulement. la philoso- phie, mais aussi la littérature sait que dans un sel morceau d’étre tout l’étre est contenu. Comme 1’a déja dit un personna- ge plus célébre que moi: “C’est-i’ parce que l’eau est. pus creuse que c’est plusse de l’eau asteur?” Il avait raison. Nous sommes autant entourés de vie et aussi pleins de vie dans une toute petite vie que dans une grande. Ce qui revient presque a dire que l’oeuvre littéraire n’est pas forcément le produit d’une gran- de vie ou d'une vie accomplie. Napoléon, par exemple. pouvait se passer de faire de la litté- rature; il n’avait pas besoin de réver de conquétes imaginai- res, lui, il avait conquis. Dante, au contraire, exilé de sa Proven- ce, révait d'un paradis; et ila consenti 4 faire le voyage péril- leux a travers Jes multiples cercles de l’enfer puis du purga- toire, avant d’atteindre ce para- dis qui le ferait symboliquement rentrer chez lui. C’est Cervan- tés, du fond de sa prison, qui imagine ce Don Quichotte parti a la conquéte de |’Espagne; pas Charles-Quint. Et ce n’est pas non plus Alexandre qui écrit I'Tliade; il a fait la sienne au bout de l’épée. Sa place au soleil Et le peuple acadien? Tl ne fut jamais, sans doute ne sera-t-il jamais du hord des conqué- rants, Non pas qu'il n’en ait pas le gofit, comme tous les autres; mais il n’en a pas les moyens. II va donc tenter de conquérir son ame, et sa place au soleil. Il va en réver. C’est précisément parce que le monde est trop petit qu’on cherche a le refaire; c’est parce que la vie est trop courte qu’on veut I’éterniser; c’est. parce que les paradis sont trop loin et trop inaccessibles qu’on les réinven- te. Eh bien, qui peut inventer, recréer, ou refaire la vie ou les paradis trop courts, sinon ceux quiles ont plus courts ou plus misérables que les autres? C’est presque inévitahle que ce soient les plus petits qui révent plus grand, et ceux qui n’ont rien qui éprouvent le hesoin de sublimer ce rien pour se prouver qu'ils existent et démontrer aux au- tres qu’ils aspirent a étre. Chercher nos racines... Avec de pareilles ambitions, par quel bout commencer? Puis- que nous n’avons pas d’ancétres — d’ancétres écrivains, j’en- tends, grammairiens. académi- ciens -- puisque nous n’avons pas de lignage d’écriture, il nous faudra bien chercher ailleurs, chercher plus loin nos racines. Et plus loin que l’écriture, c'est loral. C’est done dans la litté- rature orale, primitive. populai- re, transmise de grand-grand- pére, a grand-pére, A pére, que nous chercheronss notre lignage et notre Ame collective. et c’est avec ca que nous aspirerons a l'universel. Je viens de dire un gros mot, ‘mais |’écrivain n'a pas de modes- tie. Il doit aspirer 4 l’universel,. c’est-a-dire 4 parler aux autres, au monde, mais parler de lui, de ce qui est tellement. essentielle- ment lui, que rendu 4 ce niveau de profondeur, tous les hommes se retrouvent. I, Hommme, avec un H majuscule, ea n’existe pas pour un écrivain. Surtout pas pour l’écrivain acadien. II sait que la Piroune ou Pierre 4 Tom n’accéderont 4 leur F ou H majuscule qu’sprés étre devenus profondément et indéracinable- ment Pierre # Tom et Piroune. Pour ¢a, il faut que ces per- sonnages soient drélement incar- nés, drdélement vivants. qu’on les ait drélement rencontrés dans la - vie. Il faut connaitre jusqu’aux tics des personnages qu'on cher- che a créer, les connaitre a fond, avant d’aspirer A en faire quel- que chose d’essez. vrai pour que leur vérité atteigne au V majus- cule. La réalité acadienne Quand on me-demande, a moi, comment j’ai pu raconter la vie - d'une femme de soixante-douze ans, une femme laveuse de plan- chers, une femme qui fut fille 4 matelots dans sa_ jeunesse, quand on me demande comment j'ai pu vivre ca, je souris a la mode acadienne, c’est-A-dire en coin et avec la langue dans la joue, Car justement. je n’ai pas vécu ¢a. Pas encore. Mais la n’est pas l’essentiel de 1a Sagouine: elle n'est pas d’chord fille de joie, fourbisseuse, vicille femme. Elle est femme de la mer qui réve d’un pays; femme pauvre qui réve d’un monde iuste ot ses enfants auront les pieds chauds et mangeront chaqie jour leurs trois repas de fayots; femme, enfin, quiréve au printemps, qui a peur de la mort, et qui aspire a un paradis de tarte au coconut faite au magasin. %h bien ¢a, voyez-vous, je peux le compren- dre. Je peux comprendre le désir du printemps, ¢tant. moi aussi d'un pays d’hiver; je peux com- prendre l’horreur de l'injustice, étant aussi d’un pavs bilingue; je peux comprendre l’angoisse de se chercher une patrie. une terre qui nous donne une identité et un nom qui figure dans les livres de géographie. L’essentiel de la Sagouine C’est a ce nivean qu’il faut chercher le personnage, disons le mot, universel. Mais d’abord, il fallait trouver une femme en chair et'en os, réelle. vivante, avec un tempérament. un grain de beauté,:une mentalité, une physionomie. Parce que la Fem- me en majuscule n’a jamais faim, elle, ni froid aux pieds; et elle n’a jamais été horrifiée par linjusti- ce, nieffrayée par la mort. La réalité qui intéresse I’écrivain s’écrit avec un tout petit r. La réalité acadienne comme les autres. Et quelle est cette réalité? Quelle est la matiére d’Acadie? Qu’avons-nous A dire? Nous avons tout a dire. Parce qu’au- cun Mauriac n’est venu décrire notre Rordeaux, ni aucun Mis- ‘tral chanter notre Provence. Aucun écrivain n’est. venu labou- rer ou épuiser notre terrain. Le terrain est neuf partout. Nous, nous pouvons vraiment dire que nous sortons du bois. Et e’est peut-étre la le plus grand don qu’on puisse offrir A un écrivain: la forét vierge. Le terrain vier- ge, c’est le Klondyke des artis- — 2EME PARTIE tes. Or il existe peu de pays au monde a pouvoir se vanter autant que ]’Acadie de coffres enfouis dans ses sables. De quoi faire réver les chercheurs de tré- ‘sors, et faire pleurer d’envie les académiciens. La littérature est un art Ces trésors cachés en Acadie, inexploités, dormant. depuis des siécles dans nos sables et nos mémoires, c’est peut-étre la principale justification a nos | aspirations actuelles 4 la littéra- ture. A la littérature qui est écriture autant que matiére littéraire. Car précisément dans la matiére d’écriture est incluse lVécriture. I.a littérature est un art ot le contenant devient aussi du contenu: son contenu qui est son bagage didées. d’événe- ments, de personnages. de vie; son contenant qui est la langue, la parole, l'image. le style. En . littérature acadienne, l'un est’ aussi vierge, original et riche que l’autre. Dans le coffre au trésor d’Acadie, se cachent aussi sa langue et son imagerie popu- laires. Un style on une maniére unique au monde. Vous me direz que toute littérature est unique au monde. C’est vrai Sauf que dans les littératures nationales évoluées, l'originalité est multi- ple et l'unique se répéte souvent. Pas encore en Acadie. Nous n’avons pas. eu cette chance... Un geste acadien a trouver Nous avons comme I’assuran- ce, quelque chose comme une certitude que quelque part chez Le Soleil de Colombie, Vendredi 16 Septembre 1977 9 nous dort la matiére d’Acadie, comme autour d’ Arthur et ses douze chevaliers dormait la ma- tiére de Rretagne; et. autour de Roland et Charlemagne. la ma- tiére de France. Chaque peuple a en lui, au creux du ventre, sa matiére cachée. J] y aurait une geste acadienne 4 trouver, et a “faire. Vous admettrez que c’est assez séduisant pour une littéra- ture naissante de découvrir sou- dain, dans son patrimoine, l’étof- fe et la matiére d’une geste nationale. Voilé ce qui nous est offert: un monde sorti de la rencontre de la terre et des eaux et qui fait de notre sol cette espéce de limon dont. s’est servi Dieu le Pére pour faire son premier homme; tn monde tant de fois balloté d'une mer & l'autre, d'une rive 4 l'autre, avec la branche d’olivier entre les dents, que si Noé devait. recom- mencer son Déluge, il introdui- rait sirement dans son arche, a la suite de ses couples d’ani- maux, un couple d’ Acadiens pour assurer la survie de l"homme; un monde ov s’est aceumulée une telle charge émotive. durant | deux siécles de silence. que seule la parole pourra le délivrer: la parole qui se fera littérature. Reste 4 savoir si nous aurons le ventre, le cocur, le courage et la jarnigoine de relever le défi. Si nous en aurons le temps surtout. Fincore un coup, il n’est pas garanti que nous en ayons beaucoup. I! était urgent que la francophonie se rénisse chez nous pour que nous iryons le temps de lui dire tout. ¢a. Exprimer son univers a soi En eonclusion, disons-nous que l’importent c'est. d’arriver a temps, et qve dans le cas qui nous concerre, l’urgent et l’es- sentie] se conjuguent. Disons- nous que ce n’est pas important pour la littérature d’étre la voix de la majorit¢. D'ailleurs impor- tant ou pas, il ne faut pas réver en couleur, ]’Acadie n'est pas, ne’ sera sans doute jamais plus grande qve tout le monde. L’essentiel, c’est d’exprimer son univers a soi, quelque petit ou grand qu'il soit. St il se peut alors que les plus grandes choses soient dites par les plus petits: un exilé qui réve dine patrie; un prisonnier gui spire 4 la liberté et a la justice; un riveugle qui reconstitue per la m4moire I’épo- pée-de son peuple. Un Acadien peut comprendre le cri ou le chant de tors les minoritaires, exploités ov eyilés de 11 terre. Il peut les comprendre. et peut- étre a leur suite parler a son tour. Il lui reste é trouver le petit fil aux couleurs d’Acadie qui vien- dra s‘ajouter 3 Ja vaste tapisse- rie que tissent depuis mille anss les peuples de la Francophonie. Donnez-novs ce droit. 4 notre couleur, si péle soit elle. 4 notre différence; donnez nous le droit. de ne pas étre quéhecois tout a fait, ni franceis seulement, ni canadiens entiérement. ni améri- cains. encore moins, mais acadiens, acrdiens de pleins droits, d’étre nous mémes, et cela en Amérique, dans la Fran- cophonie, dens le monde. Aidez- nous a apporter notre petite et pourtant indispensable contribu- tion au vaste monde de la litté- rature francophone ef, univer- selle. Chronique pa” Jean-Claude ARLUISON COUP DE THEATRE. Au mo- ment de mettre sous presse, nous apprenons, grace a un article du quotidien The Provin- ce du mardi 13 septembre, que M. Joe Blancard, chanteur bien connu 4 Vancouver, a été nommé directeur de La Troupe de la Seiziéme. M. Jacques Baillaut, président de la troupe a été, si l’on en croit, le méme article, nommé vice-président de la Fédération des Franco-Colom- biens... “FRENCH CAROUSEL” ainsi est intitulé l'un des programmes offerts par le Centre des Arts de Burnaby, pour ]’automne. “French Carousel” est une série de 10 sessions 4 l’intention des enfants de 3 et 4 ans. La . premiére heure sera consacrée a une exploration de jeux créatifs, la deuxiéme heure 4 la poterie. Ce “Carousel” sera mené entié- rement en francais, et tous les énfants doivent posséder une certaine compr¢hension de base du francais. Le coft est de $20.00. la 1ére session aura lieu le jeudi 29 septembre, de 13:00 a 15:15, au Foyer du Centre des Arts de Burnaby, au pare Century, Gilpin et Canada Way, 4 Burnaby. Pour de plus amples renseignements, tél. au 291-6864. \ LA SOCIETE HISTORIQUE FRANCO0-COLOMBIENNE Si vous @tes intéressés a . devenir représentant de la So- - ciété Historique dans votre com- munauté ov simplement 4 parti-: ciper au travail de recherche ou a faire des entrevues,écrivez a la “Société Historique Franco- Colombienne”, a/s “Le Soleil de Colombie”, 2213 rue Cambie, Vancouver, ©.B. V5Z 2W3. Messieurs, Je viens de lire l’entrefilet sur votre société dans le Soleil de Colombie du 9 septembre. Je serais trés intéressé 4 participer a vos recherches. J’habite Vancouver depuis prés de trois ans et je me suis souvent demandé moi-méme quel était le passé francais de cette province, les journaux anglophones étant assez avares de renseignements la-dessus. J’ai voyagé un peu en province ces derniers temps et en passant par une ville comme Quesnel, par exemple, on se demande si cette ville n’a pas été fondée par un canadien-frangais ou peut- étre un métis, qui sait... Je n’ai pas d’expérience préci- se en recherche historique, mon intérét étant surtout porté vers la littérature, mais le travail de recherche en hibliothéque ou dans les archives serait de nature a m’intéresser. Si je peux vous @tre d’une quelconque utilité, je serais heu- reux de vous offrir mes services. Bien a vous, Pierre de Rellefeuille ... Vancouver. LE PROF. KEITH SPICER, ancien Commissaire aux langues officielles fera une conférence devant |'Institut de Vancouver, le 8 octobre, sur le sujet “Bilin- guisme: un succés de scandale”. Le Dr. Spicer est actuellement professeur de sciences politi- ques en visite 4]’Université de la Colombie-Pritannique. | francophone BAZAR. n.m. (persan bazar). (...) Fig. et pop. Maison mal tenue. (définition donnée par le petit Larousse). Toute allusion serait purement fortuite. OFFRE D’'EMPLOI. Le Centre Culturel Colomhien est a la recherche d’animateurs a la pige, parlant francais et connais- sance de l'art au Canada francais ~ Le Centre Culturel Colombien est situé au 795, onest 16éme avenue, a Vancouver. Tél. 874-9105. Le spectacle. de Robert Charlebois se tiendra au théatre Centennial de Vancouver Nord, le dimanche 18 septembre, a 17h30. Ce spectacle étant enre- gistré, les spectateurs devront étre assis a 17h00. L'INSTITUT CANADIEN- FRANCAIS D'OTTAWA COMPTF. 125 ANS D'EXISTENCE L'Institut canadien - frangais d’Ottawa féte cette année le™ 125e anniversaire de sa fonda- tion. Depuis 1852, l'Institut poursuit son oeuvre culturelle, littéraire et sociale sous la ‘ devise “Travail et Concorde”’. Plus de 1000 membres tant du Québec que de !’Ontario. en font partie. M. Séraphin Marion, président d'honneur de 1’Insti- tut, en est membre depuis 70 ans. La bibliothéque de I'Institut compte plus de 3000 volumes dont certains sont trés anciens et trés rares. (Hehdo Canada).