Le Moustique ! ... Pacifique Volume 6 - 7¢ Edition ISSN 1704-9970 Juillet 2003 Tout n’a qu’un temps.... Suite et fin. Il presse le bouton et tout le tableau se fige : les grimaces arrogantes, les gestes avilissants, les moqueries évanouies dans l’arrondissement de lévres figées, le challenger au poing dressé prét a se lancer vers lui, les articulations blanchies par la crispation. Dans tout ce temps qu’il posséde a présent, il prend son souffle, assure solidement son équilibre sur les jambes écartées, se concentre et frappe l’'adversaire en plein nez. Tout cela sans hate, sans heurt, sans les gestes décousus que la peur, l'inexpérience et le manque de confiance générent si aisément. Personne n’a rien vu ! Ila été rapide comme l’éclair. L'adversaire chancelle ; il prend prudemment ses distances, car, affolé, il n’a pas vu non plus le coup venir. La cour est soudain silencieuse. Les regards se voilent d’une admiration craintive. Mais il n’y a pas encore de cris d’enthousiasme, de mouvements admiratifs de foule. Ce sera pour plus tard, a l'occasion du prochain réve. Ce subterfuge était des plus satisfaisants et pour la premiere fois, il semblait qu’il ait trouvé la solution a ses problémes. II pouvait a présent reconstituer en pensée tous les événements et les remanier de la maniére la plus propre a ses attentes sans n’avoir plus a tenir compte de ses insuffisances physiques ou intellectuelles. La réécriture des faits pouvait se faire dés lors en visant a l’entiére perfection. La formule était élégante et les résultats beaucoup plus spectaculaires ; le succés était complet et il n’y avait plus de place pour le regret. La formule magique du « superman » en quelque sorte. De plus, on pouvait imaginer de perfectionner la méthode. Par exemple, il n’était plus nécessaire de pousser sur un bouton. Cela prenait déja trop de temps et exigeait de bons réflexes. Plus simplement, il pouvait contréler mentalement le ralentissement ou l’arrét du temps. Ce perfectionnement transformait le procédé en véritable arme secrete et, surtout, ouvrait des perspectives infinies en ce qui regarde toutes sortes de situations. Méme si elles n’étaient que virtuelles. 14 Il ralentissait son présent pour mieux ajuster son futur. Au moins allait-il, pendant quelque temps, supporter la vie un peu mieux. Pendant les semaines qui suivirent, il assomma ainsi réguliérement tous ses camarades de classe. Au moins ceux qui se montraient les plus forts et qui en profitaient pour lui faire une vie d’enfer. Le plaisir n’avait plus de limites. Un professeur l’interrogeait-il qu’il arrétait aussitét lhorloge . Le temps de se rendre derriére le pupitre du maitre, surpris dans une grimace figée, un peu sadique, de celui qui s’appréte a ridiculiser |’éléve devant toute la classe, et de lire par-dessus son épaule la réponse a la question. Puis, le temps toujours en suspend, il revenait a sa place, surprenant au passage les expressions goguenardes sur les visages gelés des écoliers. Libérant enfin le temps, il jetait a la face du maitre la réponse exacte, avant méme que la bouche posant la question ne se soit refermée. Le triomphe était total et la satisfaction complete. Vint aussi le moment ot il fut réellement interrogé. ll savait ne pouvoir répondre a rien tant il s’était entiérement consacré a ses pensées. Toutefois, tous ses fantasmes lui avaient rendu confiance. Il se dressat, fier et presque insolent, ignorant le brouhaha de la classe d’ou fusaient quelques commentaires moqueurs. II fixa l’instituteur droit dans les yeux et commencat de réver. Un sourire béat lui couvrait la face alors qu’il projetait en pensée son film préféré. A ses parents, convoqués a l’école, on annonga que leur enfant devenait lunatique et paraissait souffrir d'inadaptation chronique. De mauvais éléve qu’il était, il ne devenait plus éléve du tout. Il semblait s’enfoncer de plus en plus dans un monde a lui, et ce, avec une telle conviction que s'il avait pu l’utiliser pour étudier ses cours, il aurait été premier de classe. N’ayant pas totalement abandonné le sarcasme afin d’atténuer le dramatique de la situation, les professeurs prenaient conscience que le cas de cet enfant commengait a les dépasser. Le Directeur, sans n’avoir jamais utilisé les termes d’institut psychiatriques ou de rééducation avait suggéré, a force de circonvolutions diplomatiques, un mode d’éducation spécialisé qui sortit entiérement du cadre de l'institution dont il était en charge.